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Ils voulurent mettre l’occasion à profit et abaisser la France en achevant de relever Marie-Thérèse. Or le maréchal de Noailles, malgré de savantes combinaisons, ayant été battu à Dettingen (27 juin), est obligé d’évacuer l’Allemagne. L’Alsace était menacée d’une invasion, si Maurice, avec de faibles troupes, mais secondé par des inspirations de génie, n’eût opposé un rempart impénétrable à l’ennemi victorieux.

Les archives saxonnes nous fournissent quelques détails nouveaux pour compléter ce résumé. Le 5 avril, Maurice avait rejoint à Amberg l’armée que commandait le maréchal de Broglie ; trois semaines après, il écrivait au comte de Brühl : « La cour de France, qui ne connaît pas le terrain, défère souvent aux prières de l’empereur, qui n’y entend pas grand’chose, et l’on est obligé de faire des démarches que l’on sait bien qui sont détestables. La faute en tombe sur les généraux. C’est un des désagrémens de notre métier. » Plainte expressive et curieuse à noter, car elle prouve bien l’impartialité de Maurice. L’empereur Charles VII, irrité par l’infortune, a souvent rejeté sur le maréchal de Broglie la responsabilité des désastres dont il était le principal auteur ; Maurice, qui a signalé tant de fois les fautes du duc de Broglie (il employait un mot plus cavalier dans sa franchise militaire), Maurice venge ici son général et dénonce les deux causes de ruine : l’impéritie de l’empereur d’Allemagne et la faiblesse de la cour de France. À la faiblesse du roi pour les fantaisies de Charles VII, ajoutez les intrigues jalouses des courtisans ; vous aurez une idée de ces inconvéniens du métier signalés par Maurice. Le maréchal de Broglie avait confié au comte de Saxe le commandement de la réserve ; le prince de Conti, qui prétendait à ce poste, remue ciel et terre à Versailles pour en faire expulser son rival, et M. d’Argenson, assailli de tous côtés, craint de perdre son portefeuille en défendant le vainqueur de Prague. « Telle est aujourd’hui la situation de la cour de France, » écrit M. le comte Loss, ministre de Saxe à Paris. Il ajoute que Maurice s’est résigné « de la meilleure grâce du monde. » Le maréchal de Broglie était moins résigné ; il sentait bien quelle perte il venait de faire. Quelques semaines après, le prince de Conti était battu par les Autrichiens, et le comte Loss écrivait à Dresde le 5 juin : « le prince Charles n’aurait pas eu si beau jeu avec le comté de Saxe, si les intrigues de la cour n’avaient prévalu pour ôter la réserve à ce général et en donner le commandement a un prince du sang qui fait sa première campagne. » Le prince de Conti n’était pas de cet avis ; il se fût couvert de gloire infailliblement pour peu.que le duc de Broglie l’eût secondé. En un mot, il exploita si bien les rancunes de l’empereur Charles VII, pour dissimuler sa propre décon-