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et s’il se tirait d’affaire sans trop d’impertinence, on lui donnait le brevet d’ingénieur, avec l’espoir d’une enseigne ou même d’une lieutenance dans quelque compagnie d’infanterie. Les ingénieurs appelés à l’attaque ou à la défense des places ne se recrutaient pas autrement ; quant aux constructeurs, c’étaient, pour la plupart, des architectes ou même des maçons. Peu estimée, mal rétribuée, la profession n’attirait guère ; il n’y avait que les médiocrités besoigneuses ou les grandes vocations qui s’y portassent, les unes avec résignation, les autres avec l’enthousiasme qui fait les martyrs. Le cadet du régiment de Condé pouvait bien être des besoigneux, mais non pas des résignés ni des médiocres.

Les circonstances politiques au milieu desquelles Vauban fit son entrée dans le service donnent à ses premières épreuves un intérêt tout particulier. Paris était alors en pleine fronde ; mais qu’est-ce que la fronde avait à faire avec les paysans du Morvan ? Savaient-ils sous quel règne et sous quel gouvernement ils vivaient ? Ils savaient sans doute qu’il y avait le roi et M. le cardinal ; mais qui leur eût demandé si le roi s’appelait Louis XIII ou Louis XIV, et M. le cardinal Richelieu ou Mazarin, les eût fort embarrassés à coup sûr. Quand on voit, en plein XIXe siècle, combien, dans certains recoins de nos départemens, l’ignorance est fortement cantonnée, on ne doit pas s’étonner de ce que nous croyons pouvoir affirmer, à deux cents ans de distance, des paysans morvandeaux.

À Saint-Léger-de-Foucheret, qui était pays bourguignon, le personnage le plus populaire devait être M. le Prince, gouverneur de Bourgogne ; mais est-il bien sûr qu’on connût à Saint-Léger, en 1650, les péripéties de la fronde, le triomphe momentané de Mazarin et la prison de M. le Prince ? Quand Vauban se mit en route pour aller rejoindre le régiment de Condé, c’était à peu près le temps où M. le Prince, délivré par Mazarin fugitif, rentrait triomphalement dans Paris ; mais on peut s’assurer que Vauban n’avait de ces événemens qu’une idée fort confuse, et qu’en allant au régiment de Condé il allait surtout au capitaine d’Arcenay. Il venait chercher un protecteur qui l’aidât à faire son chemin, et non point prendre parti dans une querelle politique. Après quelques jours passés au régiment, ce fut autre chose. Il se trouvait en pays neuf, dans un milieu agité, enflammé de passions dont son âme vierge et surprise ne put s’empêcher de ressentir d’abord l’ardeur. Il n’entendit plus parler que de M. le Prince, de son héroïsme, de son génie, et s’il ne s’attacha pas à lui dès lors jusqu’à le suivre aveuglément dans toutes ses fortunes, il lui voua certainement une sympathie qu’il n’éprouva jamais au même degré pour Turenne.

Au mois d’août 1651, M. le Prince n’était encore qu’un grand