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prendre et les pays qu’ils auraient à traverser jusqu’aux sources du Nil. Provoquer et obtenir des renseignemens topographiques, les comparer, les rectifier les uns par les autres pour les coordonner ensuite, c’est là une science difficile à acquérir. Les explorateurs les plus expérimentés s’y montrent toujours novices. Quand on consulte la carte que MM. Burton et Speke ont publiée en 1858, on y découvre d’assez graves erreurs. Des contrées qui sont maintenant à l’ouest du grand Nyanza s’y trouvaient alors à l’est. Le lac Baringo, qui baignait les pieds du Kénia, a fait cent lieues pour aller se rattacher par un canal au lac Victoria. Des districts deviennent des états, et des états se convertissent en districts. Des rivières changent de direction ; au lieu de couler au midi, elles coulent au nord. Cependant, malgré ces écarts étranges, on ne peut qu’être étonné de la justesse des renseignemens généraux. Sans doute Speke ignorait l’étendue et la configuration du lac Victoria, il ne savait pas non plus quel était le pays qui recelait les sources du Nil. Comme, à sa sortie du lac, le Nil sépare l’Uganda de l’Usoga et qu’un peu plus bas il entre dans l’Unyoro, il en résultait des divergences notables dans les informations données sur le cours du fleuve : les uns assuraient que l’origine, du Nil était dans l’Uganda, d’autres certifiaient qu’elle se trouvait dans l’Usoga, d’autres enfin voulaient qu’elle fût dans l’Unyoro ; mais tous la plaçaient invariablement au nord du Nyanza. Speke pouvait donc ne pas hésiter sur la direction générale qu’il devait suivre, tout en se tenant sur la réserve quant aux détails qui auraient pu l’égarer. Il savait en outre que, pour se rendre au nord, il fallait qu’il traversât l’Uzinza et le Karagué, deux contrées fort connues, qui se rattachent à Kaseh par une route que les caravanes suivent régulièrement. Cette route aboutit à un village appelé Ngandu, situé sur la frontière septentrionale du dernier de ces deux états, le plus éloigné des dépôts qu’alimentent les marchands de Zanzibar. Les pays au-delà de ce point n’avaient plus aucune communication directe avec le monde civilisé ; l’obscurité les enveloppait, et les rapports les plus bizarres circulaient sur cette région, où cependant il fallait pénétrer, si l’on voulait atteindre le but du voyage.

Les deux explorateurs quittèrent Kaseh le 16 mars 1861 en se dirigeant vers le nord-ouest. Ils s’arrêtèrent le surlendemain à Iviri, où ils remarquèrent des officiers recruteurs qui agitaient une sonnette dans les rues et proclamaient que le village était appelé à fournir un certain nombre d’hommes par cent habitans. Ces conscrits devaient être rendus à Kaseh dans un délai fixé, pour être incorporés dans l’armée arabe. Les recruteurs ajoutaient qu’en cas de résistance le chef serait mis en état d’arrestation, et que les plantations seraient confisquées, On doit regretter que le capitaine