classer. Il avait ainsi eu la gloire de découvrir deux ou trois espèces inconnues, à peine grosses comme la tête d’une épingle.
Prévenus des courans qui devaient nous faire dévier de notre route, nous avions porté sur nos cartes deux points différens. L’un nous donnait la position qui résultait de l’estime, l’autre celle que nos hypothèses nous assignaient. C’était un calcul de probabilité. Entre ces deux solutions, un bon chronomètre eût prononcé en quelques minutes. Privés de montres marines, nous avions eu recours aux distances lunaires. Le capitaine observait, je calculais ses observations. L’estime et le résultat de mes calculs différaient de quatre-vingts lieues. Nous hésitions à accorder une entière confiance à des observations qui avaient eu lieu par un temps peu favorable. Cependant nous étions entrés depuis quelques jours dans la zone des vents variables. Le ciel était couvert, la brise fraîche, notre sillage rapide. L’inquiétude commençait à nous gagner. C’est toujours une perspective peu flatteuse que celle d’être exposé à rencontrer de nuit une terre qui surgit à l’improviste sous votre bossoir. Quand on a deux ris dans les huniers, le vent de l’arrière, et qu’on file neuf ou dix nœuds à l’heure, ces sortes de rencontres sont plus graves encore : elles ne vous laissent guère le temps de la réflexion. Nous avancions pourtant, et nous devions bientôt nous trouver au milieu des Açores, ou les avoir dépassées. La nuit approchait ; j’achevais sur la table du carré des officiers un dernier calcul. Plus de doute, si les astres n’avaient pas menti, la Champenoise allait dans quelques heures donner dans le canal de Terceire. Je ferrnais mon Guépratte[1] et je rassemblais mes papiers, quand je m’entendis appeler à grands cris sur le pont. Le soleil en ce moment descendait derrière l’île du Pic, son globe de pourpre reposait sur un piton aigu. Les distances lunaires avaient eu raison.
Nous saluâmes joyeusement cet archipel qui voit passer presque tous les navires revenant des Indes ou d’Amérique, et le jour nous trouva devant la ville d’Angra. La brise d’ouest nous était restée fidèle ; elle nous poussait toujours, plus fraîche, plus nourrie, vers les rivages de France. Bien que nous eussions rectifié notre position, nous devions nous attendre à quelques erreurs avant d’atterrir ; mais la longitude n’était plus ce qui nous préoccupait. La sonde pouvant aller chercher dans le golfe de Gascogne un indice certain de la proximité de la terre jusqu’à quatre-vingts et cent brasses de profondeur, nous n’avions qu’à sonder pour savoir à peu de chose près sous quel méridien nous nous trouvions. Ce qu’il nous fallait connaître, c’était notre latitude, le parallèle sur lequel
- ↑ Tables de calculs nautiques désignées par le nom de celui à qui l’on doit cet utile ouvrage.