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de bord, son évolution, et resta, saisi au talon, sur le sable. C’est un singulier assemblage de force et de faiblesse qu’un navire : il dompte un ouragan, il trébuche sur un caillou.

Au mois d’avril, nous fûmes rappelés à Toulon. Je ne doutais plus du Furet. Les pères et les capitaines ont de ces illusions. Arrivé à la hauteur de Blanes et de Palamos, je me lançai à corps perdu dans le golfe de Lyon ; le mistral, je puis le dire, m’y accueillit à bras ouverts. Pendant trois jours, nous ne vîmes que le ciel et l’eau. Comment les lames qui ne cessaient de balayer le pont ne remplirent-elles pas la cale ? C’est ce qu’aujourd’hui encore je ne saurais trop expliquer. Nos installations étaient fort incomplètes, je les ai perfectionnées depuis lors. L’eau pénétrait jusque dans ma chambre par mainte ouverture. Notre beaupré fut brisé, notre fausse quille arrachée de ses crampes. Il semblait que cette fois le Furet allait se démolir.

Ce n’était pas assez que le Furet eût été de Toulon à Cadix, on voulut l’envoyer à Lisbonne toujours pour renforcer la station. Le printemps aplanissait les mers, et du cap Sepet au mont de Gibraltar le Furet connaissait son chemin. La traversée ne fut donc qu’un jeu. À Lisbonne, je fis mon entrée dans la vie politique. Petite ou grande, la politique est dans la destinée de tout officier de marine. Le commandant de la Dryade me confia une mission qui me mit en présence d’un de ces mouvemens militaires si fréquens il y a quelques années en Portugal, commotions périodiques dont les conséquences heureusement ne furent jamais sanglantes. Dans l’été de 1837, l’esprit portugais prétendait réagir contre l’influence allemande. J’ai vu, à cette époque, des gens fort animés. Depuis lors, les passions se sont beaucoup calmées, et pour une monarchie née d’une révolution, la monarchie portugaise n’a pas donné au reste de l’Europe un trop mauvais exemple. Par une belle matinée d’été, j’entrai dans le Douro. Les bords de ce fleuve sont délicieux ; l’embouchure par malheur en est obstruée. On n’arrive à Porto qu’avec le secours de la marée, et lorsque le vent vient du large, on n’y arrive qu’à travers un tourbillon d’écume et de sable. Aussi pendant l’hiver les navires vont-ils généralement attendre dans la baie de Vigo ou sous les îles Bayona que le vent d’ouest ait fait place au vent du nord.

Le commandant Lalande venait d’être promu au gracie de contre-amiral. Il arbora son pavillon sur le vaisseau l’Iéna et me demanda au ministre pour aide de camp. Je repris avec joie le chemin de la France. J’aimais bien le Furet, mais j’aimais encore mieux mon amiral. J’emportai cependant à bord du vaisseau de 90 canons le souvenir du cutter qui m’avait fait connaître les premières joies et