Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/1001

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évocation subite! quel délire! Roncevaux, Roland, la belle Aude, et Durandal la vivante épée, et Olifant le cor d’ivoire! Le poème d’abord, la musique ensuite : un rêve inénarrable,

Rêve de Table-Ronde et de chevalerie,


dont il fallut pourtant se réveiller un beau matin pour s’en aller courir les directeurs de spectacle! Ici la situation se compliquait, attendu qu’aux yeux de ce monde peu avenant des théâtres M. Mermet ne possédait pas même l’avantage, bien ordinaire cependant, d’être un simple inconnu. Chose triste à dire, le candidat avait débuté et mal débuté. Personne aujourd’hui ne se souvient du Roi David, partition éphémère dont un caprice de Mme Stoltz fit et défit la destinée. Il n’en est pas moins vrai que la mauvaise fortune de cet ouvrage devait longtemps peser sur l’auteur. Au théâtre, les premières impressions ne s’effacent guère, surtout quand elles sont fâcheuses, car alors la malveillance ne néglige point de les exploiter. Tout en faisant preuve dans le Roi David de certaines velléités dramatiques, M. Mermet avait laissé voir une grande inexpérience instrumentale. C’en était assez pour qu’on lui refusât à jamais le droit d’assembler un orchestre. Des études implacables auxquelles il s’était livré, de ses efforts, de ses progrès, on ne voulait pas tenir compte, et Roland, qui mourut à Roncevaux, vivait à Paris battant l’estrade.

On ferait un poème avec l’histoire de cette partition. Pour en arriver là où nous la voyons aujourd’hui, que de tribulations! quelle odyssée! Attendre, se morfondre, heurter à coups redoublés à toutes les portes, les voir un instant s’entr’ouvrir, puis aussitôt se refermer inexorablement, c’est l’ordinaire de presque tous ceux qui commencent; mais je doute que jamais homme, poète ou musicien, ait plus bravement que M. Mermet tenu tête à ces incroyables vicissitudes de l’existence d’artiste. À ce compte, il faudrait déjà le vanter pour son courage et son imperturbable entêtement; disons aussi que l’entreprise était singulière, et qu’il n’arrive pas tous les jours qu’on aborde facilement une grande scène lyrique avec une partition en quatre actes dont on a soi-même écrit le poème. Aux temps où régnaient les maîtres, où d’année en année d’illustres ouvrages se succédaient à l’Opéra, l’événement auquel nous venons d’assister n’eût pas été possible, et c’est au moins une consolation dont le public aurait mauvaise grâce à ne se point payer. Même des situations les plus fâcheuses peuvent naître certains avantages, et si nous devons chercher l’une des causes de la mise à la scène de Roland, à Roncevaux dans la détresse absolue d’un répertoire qui depuis trois ans, chose inouïe! ne s’était pas renouvelé, félicitons-nous pour cette fois de la circonstance, mais à la condition qu’on n’en abusera pas, car le vrai mérite pourrait bien ne pas se trouver là tous les jours à point nommé pour aider les imprévoyans et les inhabiles à sortir d’embarras. — J’ai parlé de l’intrépide persistance de M. Mermet. Pendant quinze ans.