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qu’elle ait pris déjà un parti relativement à la nouvelle position qui lui est faite, nous croyons encore moins qu’elle ait fait part à notre ministre à Rome d’aucune résolution ; mais, si le cardinal Antonelli a parcouru dans ses causeries avec M. de Sartiges les divers articles de la convention, nous ne serions pas surpris qu’il eût mis tout d’abord le doigt sur la stipulation financière. Est-il possible de trouver un biais par lequel, sans infirmer ses prétentions sur la propriété du fonds, le saint-père en abandonne les charges à celui qui, suivant sa manière de voir, en est le détenteur illégitime ? Est-il possible de combiner une formule de comptabilité financière qui escamote la difficulté de droit politique impliquée dans le virement qu’il s’agit d’opérer du grand-livre de la dette romaine au grand-livre de la dette italienne ? C’est un problème qu’un établissement de banque se chargerait peut-être de résoudre, mais pour lequel la cour de Rome n’admettra aucune solution comme satisfaisante. En tout cas, on peut être sûr que le saint-père ne se hâtera point de faire connaître la conduite qu’il tiendra devant la convention du 15 septembre. Avant de prendre un parti, il est naturel qu’il attende d’abord le résultat des discussions du parlement de Turin, qu’il consulte ensuite les cabinets catholiques de l’Europe et qu’il prenne les avis de l’épiscopat. Si nous avions l’esprit tourné aux chimères, au lieu de voir la papauté compromettre son caractère dans des contestations et des supputations financières et dans un pénible recrutement de soldats étrangers, nous aimerions à nous la représenter cherchant la pacification des consciences dans un renoncement docile aux soucis et aux périls de la souveraineté temporelle ; nous rêverions dans Rome neutralisée, s’administrant elle-même par une constitution purement municipale, le pape affranchi des hostilités politiques, délivré de toute inquiétude, riche des offrandes de la chrétienté, entouré de la vénération universelle, perpétuant la grande tradition du gouvernement des consciences, comme au sein d’une sereine et magnifique abbaye aux limites de laquelle viendraient expirer les importunes agitations de ce monde. Pourquoi faut-il que d’honnêtes, mais implacables préjugés s’opposent à l’accomplissement paisible et prompt d’un tel rêve, et en abandonnent la réalisation aux luttes passionnées, aux conflits haineux, à ce douloureux travail que l’on appelle la force des choses ou l’action lente du temps ?

En nous plaçant au point de vue de la France, nous qui avons toujours cru que l’indépendance et la force de l’Italie importaient à notre pays, nous qui avons toujours considéré la rupture du lien qui attache l’église romaine à une souveraineté temporelle comme la condition essentielle du développement de la liberté politique chez les peuples catholiques, nous ne pouvons marchander notre approbation à la convention du 15 septembre. Notre gouvernement ne se prononce point hardiment pour la séparation du spirituel et du temporel ; il ne semble pas comprendre encore que la tendance qui mène à cette séparation doit nous conduire aussi à un développement des libertés politiques auquel il serait sage de se préparer : les