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Paris, où du côté de sa mère il avait des parens, car la vraie chronique que nous suivons ici rapporte que le père de Hugues, chevalier Orléanais et sire de Beaugency, vivant à la cour du roi Louis, dont il était conseiller privé, aima d’amour Béatrix, la gente pucelle, et la fit demander à son père, le plus riche boucher du pays. De ce mariage naquit Hugues Capet, que la fortune maltraita dans sa jeunesse, mais que sa beauté fit chérir des dames, dont il était les délices. Leurs bonnes grâces l’exposaient à de grands périls ; mais, sa valeur égalant sa beauté, il savait toujours s’en tirer, tant qu’à la fin, réconcilié avec la fortune par son esprit et son courage, il devint roi de douce France et épousa la fille du roi Louis, comme vous l’entendrez, si vous voulez m’écouter. »

Ainsi commence le poète : Hugues Capet qu’on appelle boucher…, la vraie chronique que nous suivons ici… Voilà des termes qui attestent bien l’existence d’une tradition sur l’origine populaire de Hugues Capet. À quelle époque s’est formée cette légende ? À l’époque où la corporation des bouchers, qui sera si puissante vers le milieu du XIVe siècle, commence à prendre le sentiment de sa force. Il ne suffit pas cependant que ces hardis bourgeois aient la conscience de ce qu’ils valent, il faut encore que leur puissance soit contestée, que leurs droits soient tenus en échec, pour qu’ils osent rappeler à la royauté son origine première et confondent leur cause avec la sienne. Conjecture pour conjecture, je croirais volontiers que la tradition de Hugues Capet, fils ou petit-fils de boucher, figliuolo d’un beccajo, a dû naître sous la réaction féodale qui suivit le règne révolutionnaire de Philippe le Bel. La tradition, une fois établie, trouva bientôt son poète, l’auteur de Hugues Capet, qui, selon toute évidence, écrivait sa chanson de geste au moment où s’éteignirent les premiers Capétiens et où les Valois leur succédèrent. C’était, nul ne l’ignore, la crise vraiment solennelle où la loi salique, invoquée par le sentiment national, écartait du trône de France Edouard III, roi d’Angleterre, et petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabeau. Deux traits principaux dominent le poème de Hugues Capet et lui donnent son vrai caractère : d’un côté le désir de rapprocher la royauté de la bourgeoisie, de l’autre une singulière ardeur à prêcher la loi salique afin d’écarter les Anglais. Au moment où le petit-fils du boucher, après mille et mille prouesses, épouse Marie, fille du feu roi, et devient souverain de la France par l’acclamation des bourgeois autant que par le choix de la princesse, les seigneurs assemblés à Reims pour le couronnement tiennent conseil et font le serment que voici : « il est convenu et juré que, si un roi en France ne laisse point d’hoir mâle après lui, sa fille, à l’exception de la dot qui lui aura été donnée, n’aura rien à revendiquer, qu’on prendra un prince du sang royal, même au cinquième degré, et que les pairs le nommeront roi, mais que jamais femme ne pourra exercer ni droit d’aînesse, ni droit d’héritage, ni être reconnue comme reine. » Est-il besoin de rappeler que ces principes si nettement exposés par le trouvère furent proclamés pour la première fois en 1316 par Philippe V, et que