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s’éloigner sur son bateau. Dans un autre îlot vivent deux ânes qui saluent d’un braiement mélancolique le passage des barques, comme pour montrer qu’ils n’ont point encore perdu le sentiment de la société : ils habitaient autrefois Saint-Mary’s, où ils furent accusés de détruire les haies et sans doute aussi de commettre d’autres dégâts ; ils ont été jugés et transportés en conséquence, par ordre de M. Smith, sur ce rocher désert. Les pêcheurs leur donnent en passant des morceaux de biscuit de mer que ces pauvres bannis mangent avec un air de reconnaissance.

Les îles Scilly présentent un grand intérêt au point de vue des antiquités celtiques. Borlase, historien et antiquaire, prétend que les anciens druides honoraient dans les rochers une des personnifications de la Divinité. Pouvaient-ils mieux choisir sous ce rapport qu’un sombre océan tacheté d’îles, dont les flancs abrupts et battus par les vagues furieuses s’élèvent de toutes parts avec une grandeur austère et désolée ? Je ne crois pas qu’il y ait un endroit au monde où le granit ait revêtu des formes plus étranges, plus solennelles et plus religieuses, dans le sens où l’entendaient les anciens adorateurs de la nature. Ces masses grisâtres et solennelles, ces amas de pierres jetés dans un sublime désordre comme des villes de géans écroulées, ce mugissement de la mer répété par les échos des cavernes, tout annonce que de telles côtes ont dû servir autrefois de lieux sacrés. Ces rochers ont reçu des noms bizarres, selon la ressemblance qu’on a cru leur trouver avec les ouvrages de l’art ou de l’industrie humaine. La Chaise du Druide, Druid’s chair, par exemple, est un massif fauteuil de granit dans lequel on aime à croire que s’asseyait le grand-prêtre pour contempler le lever du soleil. Borlase pense en outre que quelques-unes des falaises avaient été artificiellement touchées par le ciseau pour y creuser des gouttières et des bassins (rock basins) destinés à recevoir l’eau du ciel dont on se servait dans les cérémonies lustrales. Les géologues ont démontré plus tard que la seule force des élémens avait pu imprimer de telles traces en décomposant la texture du granit. Ces coupes d’eau naturelle n’en ont pas moins un caractère singulier, et, attiré par le cri rauque des mouettes, je me suis arrêté plusieurs fois devant ces durs rochers où les oiseaux trouvent à boire. Une des curiosités qui ont le plus occupé les antiquaires sont les blocs mouvans (logan rocks), dont on trouve un bel exemple à Saint-Mary’s. Les îles Scilly contiennent aussi plusieurs barrows (tertres tumulaires), et dans un cairn (amas de pierre) fouillé il y a deux ou trois ans à Simson par les ordres de M. Smith, on a découvert un cercueil de granit et quelques ossemens. À Saint-Mary’s, près d’une tour appelée le Télégraphe, et du haut de laquelle les gardes-côtes