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le vent souffle haut et que la marée suit une direction défavorable. Je pus apprécier moi-même dans le bateau la fureur de la vague prise entre un réseau de falaises et la violence inouïe de ces mers, où par certains jours, disent les matelots, les navires s’enfoncent ainsi qu’un morceau de plomb. Nous arrivâmes pourtant sans encombre, après avoir tourné, près de Tresco, le promontoire de Saint-Martin, Saint-Martin’s Head. À première vue et de loin, un light-vessel ressemble beaucoup pendant la journée à un vaisseau ordinaire. Si l’on y regarde de plus près, on trouve entre eux une bien grande différence. Le vaisseau-lumière flotte, mais il ne remue point : ses mâts épais et courts sont dénués de voiles et couronnés de grosses boules. Les autres navires représentent le mouvement, celui-ci représente l’immobilité. Ce qu’on demande d’ordinaire à un bâtiment est d’être sensible au vent, à la mer ; ce qu’on exige du light-ship est de résister aux élémens. Qu’arriverait-il en effet si, chassé par la tempête, il venait à dériver ? Pareil à un météore, ce fanal errant tromperait les pilotes au lieu de les avertir. Un navire qui ne navigue point, un vaisseau-borne, tel est donc l’idéal que se propose le constructeur d’un light-vessel, et cet idéal a naturellement exercé dans plus d’un sens l’imagination des architectes nautiques. Les formes varient selon les localités : la coque du navire est plus allongée en Irlande qu’en Angleterre ; mais dans tous les cas on s’est proposé un même but, la résistance à la force des vents et des vagues. On a voulu que par les plus violentes marées, au milieu des eaux les plus bouleversées et dans les situations les plus exposées à la puissance des courans, il chassât sur son ancre en s’agitant le moins possible. Pour qu’il restât par tous les temps dans la même situation maritime, il a été nécessaire de l’attacher. Galérien rivé à une chaîne et à des câbles de fer, il ne peut s’éloigner ni à droite ni à gauche. L’étendue de cette chaîne varie selon les localités : aux Seven Stones, où le vaisseau repose sur deux cent quarante pieds d’eau, elle mesure un quart de mille de longueur. On y a depuis quelques années ajouté des entraves qui subjuguent les mouvemens du navire, et encore a-t-on obtenu que, tout esclave qu’il fût, il pesât le moins possible sur ses amarres. Il y a très peu d’exemples d’un light-vessel ayant rompu ses liens, et il n’y en a point jusqu’ici qui ait fait naufrage. On n’a jamais vu non plus les marins de l’équipage changer volontairement de position, quelle que fût la fureur de la tempête. Si pourtant le vaisseau se trouve déplacé par l’irrésistible force des éléments au point que sa lumière puisse devenir une source d’erreurs pour la navigation, on arbore un signal de couleur rouge, on tire le canon, et généralement il se trouve bientôt réintégré dans sa situation normale. Le danger de