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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/121

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son bon plaisir. Il arrive assez souvent pendant l’hiver que la tempête et la marée s’opposent à toute espèce de débarquement, et que des semaines s’écoulent sans que les communications puissent être rétablies entre le light-ship et les îles Scilly. Les marins à terre sont occupés par l’administration à nettoyer les chaînes, à peindre les bouées, à remplir d’huile les canules, oil tins, ou à d’autres ouvrages du même genre. Ceux des Seven Stones demeurent alors à Tresco. Une observation assez intéressante pour quiconque s’occupe de la physiologie des songes m’a été communiquée par un de ces derniers : tout le temps, me disait-il, qu’il était sur terre, il rêvait de la mer ; tout le temps qu’il était en mer, il rêvait de la terre.

À bord, j’admirai la belle tenue des hommes et du vaisseau. Combien leur visage, hâlé par la brise de mer, respirait un air de franchise et d’assurance ! Assez contens de leur sort, ils se plaignent seulement de la quantité et de la qualité des vivres. La ration de pain (sept livres par semaine) n’est point, selon eux, suffisante pour des hommes en bonne santé (hearty men), et j’avoue par expérience que l’air vif auquel ils sont exposés est bien fait pour aiguiser l’appétit. Quand ils sont en mer, la nourriture leur est fournie par Trinity House ; à terre, ils reçoivent 1 shilling 3 deniers par jour (1 fr. 50 cent.) au lieu de provisions. L’un des deux marins qui se trouvent en même temps à bord chargés du soin des lampes, lamp trimmers (le troisième est à terre), remplit pendant un mois les fonctions de cuisinier. Autrefois, s’il faut en croire la rumeur publique, des équipages de light-vessels, isolés par de continuelles tempêtes qui rendaient la mer impraticable, auraient été réduits à la cruelle nécessité de mourir de faim[1]. Aujourd’hui un bateau à vapeur ou un vaisseau bon voilier fait assez régulièrement le service tous les mois. Par les mauvais temps, les communications ne se trouvent en tout cas jamais suspendues pendant plus de six semaines, et les équipages ont des provisions qui leur permettraient au besoin d’attendre au-delà de ce terme.

Un light-vessel, ne l’oublions pas, a deux missions : il doit signaler un danger et servir de flambeau sur les mers. Le danger ici est l’écueil des Seven Stones, et le vaisseau a été placé aussi près du récif qu’il pouvait l’être sans trop exposer la sûreté du bâtiment. Quant au système d’éclairage, il a été déterminé par les conditions mêmes où la lumière est appelée à vivre. Si bien enchaîné que soit un navire, il remue toujours un peu avec la mer qui s’élève et qui s’abaisse. En pareil cas, on n’a pu se servir de ces

  1. Un romancier anglais, sir Lascelles Wraxall, a tiré de cette circonstance le sujet d’un épisode émouvant dans The Fife and Drum (Fifres et Tambours).