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demie, ils se rassemblent dans une cabine pour célébrer le service religieux. Au coucher du soleil, on hisse et arbore la lanterne allumée, véritable étendard du vaisseau, puis on se réunit encore pour prier Dieu et lire la Bible. À part les services du matin et du soir, les autres jours de la semaine ressemblent beaucoup au dimanche. Le mercredi et le vendredi sont les grandes fêtes du nettoyage ; il faut alors que le vaisseau reluise de propreté. Surveiller et entretenir les appareils d’éclairage, faire le guet sur le pont, noter sept fois toutes les vingt-quatre heures les conditions du vent et de l’atmosphère, s’assurer aux changemens de lune que les chaînes du vaisseau sont en bon état, tel est à peu près le cercle invariable des occupations. Ces travaux laissent néanmoins des momens de loisir, que l’on occupe par la lecture. Il y a toujours à bord une bibliothèque, et les ouvrages circulent de main en main. Qui ne plaindrait dans de pareilles circonstances l’homme ne sachant ni lire ni écrire ? Telle est pourtant la condition de quelques-uns d’entre ces marins à leur entrée dans le service ; mais, soit la force de l’exemple, soit le besoin de tromper l’accablant ennui des heures désœuvrées, il arrive assez souvent qu’aidés par les soins obligeans du capitaine ou du second maître, ils réparent plus ou moins ce défaut absolu d’éducation. Il en est un par exemple qui s’est assez instruit lui-même pour devenir aide à bord d’un vaisseau-fanal, et qui est aujourd’hui l’un des meilleurs officiers de la compagnie. Les marins se livrent en outre à toute sorte d’ouvrages de patience, et de fantaisie ; quelques-uns exercent un état tel que celui de cordonnier ou de menuisier. Certains épisodes de mer viennent parfois rompre l’effrayante monotonie de cette existence taciturne. De même qu’une chandelle allumée attire les phalènes, la lumière du navire appelle de temps en temps au milieu de la nuit des nuées d’oiseaux. Plusieurs d’entre eux tombent morts sur le pont ou étourdis par le choc, d’autres s’attachent à la lanterne trop épuisés pour échapper à la main des matelots. On raconte que mille de ces oiseaux furent ainsi pris en une nuit par l’équipage d’un light-vessel, et que les hommes en firent un gigantesque pâté de mer (sea-pie). Ces marins reçoivent un salaire d’à peu près 55 shillings par mois, qui s’accroît d’ailleurs à mesure qu’on s’élève vers les rangs supérieurs. Le capitaine touche 80 livres sterling (2,000 fr.) par an. Ils sont presque tous mariés et pères de famille. À terre, ils soignent volontiers un petit jardin paré de fleurs et de légumes ; sur mer, ils ont le sentiment d’être utiles, et cette conviction n’est point étrangère à l’espèce de courage stoïque avec lequel ils supportent la solitude de l’océan. Leur destinée ressemble à celle du vaisseau qu’ils habitent durant la plus grande partie de l’année ; enchaîné, obligé de résister