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par le feu. Au commencement de la nuit du 1er décembre 1755, une sombre nuit d’hiver, tout était calme dans la tour, quand vers deux heures du matin le gardien de service monta comme d’habitude dans la lanterne pour moucher les chandelles, et la trouva pleine de fumée. À peine eut-il ouvert la porte qu’un courant d’air fit éclater les flammes. Ce gardien, qui était un vieillard, donna l’alarme à ses deux camarades ; mais ces derniers dormaient, et quelque temps se passa, avant qu’ils ne vinssent à son secours. Il chercha, en les attendant, à éteindre le feu au moyen d’un tuyau d’eau qui se trouvait placé à l’étage supérieur : inutiles efforts ! Une pluie de plomb fondu lui tomba du sommet de la tour sur la tête, sur les épaules et jusque dans la bouche[1]. Les deux autres gardiens ne furent pas plus heureux : la provision d’eau était épuisée, et pour la renouveler il leur eût fallu descendre et remonter un escalier de soixante-dix pieds de hauteur. Il ne restait d’autre parti à prendre que de battre en retraite : ils se sauvèrent d’étage en étage devant l’incendie, qui finit par les poursuivre jusque sur le bord de la mer. Heureusement la marée était basse, et ils purent ainsi chercher un refuge sous une chaîne de rochers qui s’élève à l’est de l’écueil. Vers la pointe du jour, le livide reflet de l’incendie fut aperçu par les pêcheurs de Cawsand et de Rame Head, qui arrivèrent avec leurs barques ; mais à cette heure la mer était haute, et la brise fraîchissait : aussi ne fut-ce point sans peine qu’on put porter secours aux trois gardiens tremblans et comme frappés de stupeur. Tel fut le sort du second phare construit sur le rocher d’Eddystone.

Il était réservé à Smeaton, fabricant, d’instrumens de mathématiques, de vaincre par la science et le calcul l’opiniâtre résistance des élémens conjurés. Averti, non découragé par l’échec de ses deux prédécesseurs, il résolut d’ériger une tour en pierre. On pourrait définir son édifice un arbre de granit enraciné, dans le roc. C’est en observant la nature, il nous le dit lui-même, c’est en considérant le tronc d’un chêne qu’il conçut l’idée d’un monument destiné à braver par la forme aussi bien que par la solidité de la matière l’épouvantable violence de la tempête. La première pierre fut posée le 15 juin 1757 et la dernière le 24 août 1759. Ce troisième light-house est celui que je voyais maintenant s’élever triste et fier au-dessus des profondeurs de l’Océan. À chaque souffle de la brise qui nous rapprochait, il semblait grandir, et je pus alors mieux comprendre l’étymologie du nom qui a été donné à l’écueil

  1. Cet homme, Old Hall, mourut douze jours après l’incendie, et les médecins trouvèrent dans son estomac un morceau de plomb. Ce cas extraordinaire est rapporté très au long dans le recueil des Philosophical Transactions.