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seaux qui veulent entrer la nuit dans le port de Plymouth. Il y a pourtant entre eux la différence d’un nain à un colosse. C’est vers le colosse que devait maintenant me pousser la voile de la barque, un instant amarrée aux anneaux de fer du brise-lames.

L’histoire du phare d’Eddystone a été racontée avec une noble simplicité par celui-là même qui eut la gloire de le construire[1]. Un premier entrepreneur, nommé Henri Winstanley, avait élevé en 1696, sur ce roc isolé au milieu de la mer, une maison assez semblable à une pagode chinoise ou à un belvédère. Une gravure du temps, exécutée par les ordres de l’architecte, le représente lui-même se livrant du haut d’une fenêtre aux innocens plaisirs de la pêche à la ligne. Cette maison, toute chargée de devises et d’inscriptions, couronnée de galeries ouvertes, hérissée d’angles, de saillies et d’ornemens fantasques, n’avait en vérité qu’un défaut : elle n’était point solide. Cet Henri Winstanley paraît avoir été un excentrique. Après avoir érigé une construction qui laissait beaucoup à désirer sous le rapport de la force et de la stabilité, il appelait sans cesse la tempête avec un air de triomphe et de défi. « Soufflez, vents ! l’entendait-on s’écrier dans un accès d’audace lyrique ; révolte-toi, mer ; déchaînez-vous, élémens, et venez mettre à l’épreuve mon ouvrage ! » La tempête vint, comme elle en était priée, mais ce fut pour engloutir le bâtiment et l’architecte. Le 26 novembre 1703, Winstanley s’était rendu sur les lieux pour faire quelques réparations au light-house, lorsque pendant la nuit un effroyable orage arracha tout l’édifice avec les habitans, et ne laissa qu’une chaîne de fer rivée dans la pierre. Cependant un phare était nécessaire sur le rocher d’Eddystone. Depuis que la lumière s’était éteinte, un vaisseau de guerre, le Winchelsea, venait d’être mis en pièces pour avoir heurté contre cet écueil, et plus de la moitié de l’équipage avait péri. La difficulté de l’entreprise ne découragea point un mercier de Londres, John Rudierd, qui tenait boutique dans Ludgate Hill. Le hasard avait fait de lui un marchand, mais la nature avait voulu qu’il fût ingénieur. En juillet 1706, il se mit à l’œuvre et réussit à construire une tour en bois qui excita l’admiration des juges les plus compétens. Le nouveau feu fut inauguré en juillet 1708, et pendant quinze années il ne cessa de briller et d’éclairer les navires. Les rudes hivers se succédèrent, les vagues se soulevèrent avec furie ; les tempêtes, même celle de 1744, qui a laissé de tristes souvenirs, passèrent sur l’édifice sans l’ébranler. Ce second light-house avait résisté à la puissance des eaux, il fut détruit

  1. A Narrative of the Building and a Description of the Construction of the Eddystone Lighthouse with Stone, by John Smeaton, civil engineer.