Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/135

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lanterne. D’ailleurs qu’aurais-je vu ? Des apparitions de vaisseaux glissant sur la sombre mer, de joyeuses figures de marins qui regardent avidement du côté de la tour, puis qui, un instant éclairées, disparaissent dans l’immensité de la nuit. Je quittai donc le rocher d’Eddystone bien avant le coucher du soleil, et, ballotté par les vagues, je regagnai tranquillement Plymouth, non sans me retourner plusieurs fois pour regarder le phare, qui décroissait à l’horizon. Cet ouvrage d’Hercule a été lui-même de beaucoup dépassé depuis une soixantaine d’années. Smeaton fut suivi par des géans dans la voie qu’il avait ouverte. Dans les mers de l’Écosse, à douze milles des îles les plus voisines, s’élève un roc isolé qui avait été pendant des siècles un objet de terreur pour les marins. Les abbés d’Aberbrothwick, qui habitaient dans les environs, avaient attaché à cet écueil un radeau surmonté d’une grosse cloche que le mouvement des vagues faisait sonner en tout temps, mais principalement par les jours de tempête. Ce récif, appelé d’abord Inchcape Rock, prit ainsi le nom de Bell Rock (rocher de la Cloche). Ce système de signal ne réussit que médiocrement ; les naufrages succédèrent aux naufrages ; un vaisseau de guerre entre autres, de soixante-quatorze canons, l’York, avait péri avec tout son équipage. Les commissaires du nord, Northern Commissioners, résolurent enfin d’élever un phare d’après les mêmes principes que celui d’Eddystone, et nommèrent un ingénieur, Robert Stevenson, pour diriger les travaux. Stevenson débarqua sur le rocher désert avec ses ouvriers le 17 août 1807 ; mais, comme ce récif était couvert de douze pieds d’eau à la marée haute, les hommes ne pouvaient travailler que quelques heures entre le flux et le reflux. Un jour l’ingénieur et trente-deux maçons faillirent être noyés par la mer, qui s’éleva tout à coup ; le navire de service avait brisé ses chaînes et s’en allait à la dérive : on attendait un autre canot qui n’arrivait point. Robert Stevenson voulut adresser la parole à ce groupe frappé de terreur ; mais sa langue s’attacha desséchée à son palais. Il se penchait pour se laver la bouche dans une petite flaque d’eau de mer qui se trouvait sur le rocher, quand il entendit retentir autour de lui cet heureux cri : « Un bateau ! un bateau ! » La tour fut achevée en octobre 1810 ; élargie à la base, elle s’élève en s’amincissant vers le ciel, toujours à la manière d’un arbre. Une sorte de jetée en fer favorise le débarquement sur le roc. Une échelle de bronze fixée à la colonne de granit conduit vers la porte, exhaussée à une grande distance du sol. Les gardiens assurent que la marée s’élève quelquefois de treize pieds au-dessus de la base de l’édifice. Ce phare contient six chambres et possède deux puissantes cloches qui tintent durant les temps de brouillard. Dans le sitting-room (chambre où se tiennent les