Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/141

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comme absolument sans inconvéniens, même chez les nations chrétiennes, cette tendance à l’organisation religieuse, comme à l’abri de toute critique le sentiment qui pousse les croyans à donner à leur foi intérieure les dehors, les liens et les forces d’une communauté visible et d’une puissance constituée. Il n’est nullement évident, à la lecture de l’Évangile, que l’enseignement du Christ tendît à un résultat pareil, et les conséquences peuvent avoir de beaucoup excédé les prémisses ; mais quand la plus spirituelle des religions, celle qui en elle-même se rattache le plus exclusivement au monde invisible, a donné naissance à de pareilles créations sociales, il faut bien qu’il y ait dans l’humanité un penchant, un besoin, un instinct moral, apparemment naturel et indestructible, qui entraîne les masses mêmes à des conceptions et à des œuvres qui ne paraîtraient d’abord convenir qu’à des castes sacerdotales. L’existence même de celles-ci est le produit de ce qu’on pourrait appeler le socialisme religieux, et nul esprit sensé ne regardera comme un accident passager, comme un fait sans racine et sans importance, cette mise en commun des croyances individuelles sous une forme légale, ce qui est le caractère à peu près constant de toutes les manières d’adorer Dieu établies parmi les hommes.

Cet effet de la sociabilité humaine, trop général pour être traité légèrement, ne saurait être approuvé sans examen, et les controverses, les critiques, les attaques même, dirigées en tout temps contre les institutions théocratiques, les organisations sacerdotales, les pouvoirs préposés aux cultes, en un mot contre tout ce qui concerne le gouvernement de la religion, expliquent assez pourquoi nous présentons ici comme une question, ce qui semble résolu par le fait, et par un fait universel, ou qui admet peu d’exceptions.


I.

La religion sur la terre a pour base une idée et un sentiment. L’idée est celle de Dieu, revêtue, amplifiée, altérée quelquefois par des formes diverses symboliquement expressives. Le sentiment est celui qui accompagne la croyance en un être supérieur, maître, juge, créateur, dont la volonté et la vérité sont pour nous obligatoires. Nous avons des devoirs envers lui. En bonne philosophie, tous nos devoirs sont envers lui, la loi morale n’étant pour ainsi dire que sa pensée et n’ayant d’existence absolue qu’en lui ; mais les hommes sont assez généralement enclins à se croire des devoirs spéciaux à l’égard de Dieu comme être tout-puissant plutôt que comme vérité éternelle. Quand cette idée, quand ce sentiment de la piété sort de l’âme et se produit au dehors, une première communion