Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/140

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qui nous porte à répandre au dehors nos pensées, et notre pensée religieuse autant que toute autre, il n’en semble pas moins qu’elle devrait n’inspirer que des sentimens tout personnels qui ne s’exhalent jamais mieux que dans la solitude. Le monde invisible qu’elle nous révèle ne s’ouvre point pour les nations. La vie des sociétés se termine ici-bas ; elles n’ont point d’autre avenir que l’histoire. « Les sociétés, disait Royer-Collard, ne vont point en paradis. » Notre personnalité seule franchit les bornes de l’existence terrestre et se promet une autre vie. Comment donc tout ce qui se fait, se sent, se pense en vue de cette autre vie pourrait-il se transformer en institution publique et devenir l’œuvre collective du corps des citoyens ? Comment la cité de Dieu deviendrait-elle la cité des hommes, et que peuvent-ils demander en commun de ce qu’ils ne sauraient mériter qu’isolément ?

Ils l’ont fait cependant. On ne connaît guère de religions qui n’aient été des établissemens publics, ou qui du moins n’aient réuni les hommes sous la loi d’une commune observance, et tantôt renfermé dans leur sein la société tout entière, tantôt formé au milieu d’elle des sociétés spéciales, des sectes ou des congrégations. Les plus célèbres fondateurs de religion ont parlé en législateurs, tout au moins en organisateurs, et s’il est permis de comprendre le christianisme dans ces généralités, quoique l’enseignement divin déposé dans les Évangiles s’adresse surtout à la raison, à la conscience individuelle, et tende évidemment à réformer le cœur et la vie du fidèle plutôt qu’à constituer et à discipliner des associations civiles en leur imposant un code de rites et de coutumes, cependant la réunion des apôtres, à qui rien n’était promis que la présence du Sauveur au milieu d’elle toutes les fois qu’elle serait assemblée en son nom, à qui rien d’extérieur n’était imposé que la communion du baptême et celle de la pâque profondément renouvelée, a bientôt fondé des églises mi-parties constituées sur le modèle de l’organisation judaïque et sur la base du libre consentement. Le principe d’organisation ecclésiastique n’a fait que se développer de siècle en siècle, laissant à titre d’exception la vie érémitique et la république des thérapeutes. Dans le vaste sein de l’église universelle, il a enfanté les formes et les combinaisons les plus diverses, depuis les congrégations volontaires, despotiquement gouvernées, comme les couvens, jusqu’aux grandes sociétés politiques encadrées dans une hiérarchie cléricale très compliquée depuis les religions d’état, soutenues et quelque peu dominées par les pouvoirs politiques, jusqu’à l’état-religion ou la théocratie, comme le gouvernement temporel du chef spirituel de la chrétienté. La lecture de l’histoire ne permet pas de regarder