Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/153

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelque temps auparavant, à la veille de Marengo, il avait dit aux curés de Milan : « Il n’y a que la religion qui donne à l’état un appui ferme et durable. » Cette maxime était ce que sa politique aurait pu invoquer de mieux. Je conçois la répugnance qu’elle inspire, surtout quand elle détermine seule des actions qui pourraient être des actes de foi. Elle est tout près de l’hypocrisie, et cependant combien de fois n’a-t-elle pas été auparavant et depuis acceptée par les sages ! Et, sainement entendue, n’a-t-elle pas un côté vrai et respectable ? Au fond, elle est, sous des formes plausibles et dignes, la pensée principale et presque unique des discours de Portalis en faveur du concordat. L’orateur était un catholique correct, mais on craignait alors tellement de le paraître trop, on tenait tant à rester du nombre des gens éclairés, qu’il ne recommande la religion qu’au nom de la raison d’état et par l’autorité de Montesquieu. Tout cela est dit d’un style élégant et soutenu qui ne pouvait choquer personne. « L’assemblée constituante, ajouta Siméon, qui écrivait avec moins d’art, avait reconnu avec raison que la religion était un des plus anciens et des plus puissans moyens de gouverner. Il fallait la mettre plus qu’elle ne l’était sous la main du gouvernement. Son seul tort fut de ne pas se concerter avec le pape. Les ministres de tous les cultes seront soumis à l’influence du gouvernement qui les choisit ou les approuve, auquel ils se lient par les promesses les plus solennelles, et qui les tient dans sa dépendance par leurs salaires. » Ici plus d’équivoque : l’église passe tout entière dans le royaume de ce monde.

Il y a toujours, à trop insister sur l’utilité sociale de la religion, danger de paraître en faire un instrument de pouvoir. Les hommes de l’ordre de Napoléon regardent volontiers l’intérêt de l’état comme inséparable de l’intérêt de leur autorité. On put donc le soupçonner de penser à lui plus encore qu’à la France en se posant le restaurateur de l’église. Lorsqu’il faisait l’éloge des prêtres par opposition aux idéologues, lorsqu’il disait en termes assurément fort étranges qu’ils valaient mieux que les Cagliostro, les Kant et tout les rêveurs de l’Allemagne, il ne songeait nullement aux beautés de la métaphysique chrétienne. Il attendait du clergé des services beaucoup plus usuels et beaucoup plus humbles que celui d’élever les intelligences et de fortifier les âmes. Je ne nierai donc pas qu’il ne comptât sur eux pour mettre un frein à certaines aspirations modernes qui inquiétaient leurs scrupules comme son ambition ; mais on aurait tort pourtant de ne voir qu’un calcul de despotisme dans la grande résolution par laquelle il remit légalement l’église de France sous l’autorité du pape.

Dans les hommes qui se croient nés pour commander, la politique est à deux fins : elle tend au succès de leur personnalité en