Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/16

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que le clergé romain, vivant dans ce milieu, recruté dans ce milieu, pratiquât les vertus évangéliques de continence, de renoncement à soi-même et de pauvreté ? L’infirmité humaine ne le permettait guère. Aussi l’amour du bien-être, du plaisir, du luxe, et la soif de l’or qui les procure, infectaient le clergé non moins que les gens du monde, et il y joignait un vice particulier à sa profession, l’ambition jalouse avec tous les désordres qu’elle entraîne. Je ne fais ici que résumer les auteurs ecclésiastiques eux-mêmes. Dans les bas rangs de l’église, les clercs détournaient des filles plébéiennes et les enlevaient à leur famille pour en faire des concubines sous les noms de sœurs agapètes, ou de femmes sous-introduites, et cette plaie hideuse, commune aux églises d’Orient et d’Occident, restait vivace malgré les anathèmes des conciles et les prohibitions des lois séculières. Les dignitaires ecclésiastiques abusaient de leur entrée dans les nobles maisons chrétiennes pour y séduire les femmes, et l’accusation d’adultère est une de celles qui sont portées le plus fréquemment contre des prêtres ou des évêques, soit devant les conciles, soit devant le public. Les veuves attachées aux églises ne cherchaient trop souvent dans cette position semi-cléricale qu’un manteau pour couvrir leurs galanteries : elles affichaient une hardiesse virile, se faisaient couper les cheveux à la manière des hommes, et portaient des vêtemens qui faisaient douter de leur sexe, tandis que de jeunes diacres parfumés, frisés comme des histrions, des anneaux étincelans aux doigts, allaient de palais en palais étaler leurs grâces efféminées, et n’en sortaient que les mains pleines d’or. L’avidité de tous ces hommes pour l’argent était proverbiale, ainsi que les richesses accumulées par le clergé. Les captations exercées sur les femmes et sur les vieillards allèrent si loin que deux lois successives rendues par l’empereur catholique Valentinien Ier, déclarèrent radicalement nuls toute donation entre vifs ou tout legs testamentaire fait à des ecclésiastiques. « Les cochers du cirque, les comédiens, les prostituées, dit à ce sujet saint Jérôme, peuvent recevoir des legs ; un prêtre païen le peut, un prêtre chrétien ne le peut pas ; je suis loin de m’en plaindre pour l’église, mais je rougis pour ceux qui ont rendu la loi nécessaire. » La loi était formelle, on l’éluda sous couleur de donations faites aux pauvres par les mains du clergé, et le nouvel abus devint bientôt si criant que saint Chrysostome conseillait à ses ouailles de distribuer leurs aumônes elles-mêmes, sans en charger ni prêtre ni diacre. La recommandation de l’évêque était encore plus infamante que la loi. Il est évident qu’une réforme morale de la société romaine devait commencer par celle du clergé, d’où descendaient de si tristes exemples.

Diverses causes politiques, administratives et religieuses, avaient