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contribué à donner au siège épiscopal de Rome une position exceptionnelle dans la chrétienté. Constantin, lors de l’organisation hiérarchique du sacerdoce chrétien, ayant assimilé les évêques aux fonctionnaires civils et proportionné l’importance des sièges ecclésiastiques à celle des métropoles administratives, le siège épiscopal de la ville éternelle suivit sa condition et n’eut point d’égal dans l’empire. Toute privée qu’elle était de la présence des princes et de l’action du gouvernement central, la vieille métropole du monde romain, « ce domicile des lois, cette mère des nations, » comme on continuait à l’appeler, restait toujours la cité reine, dominant sa jeune rivale, au moins par la dignité. Elle garda hiérarchiquement le premier rang, et hiérarchiquement aussi le siège ecclésiastique qui portait son nom eut le pas sur celui de Constantinople. Vis-à-vis de l’Orient, la question était purement honorifique ; vis-à-vis de l’Occident, elle changea de nature : il s’y joignit un droit de juridiction indéterminé d’abord, mais qui tendit chaque jour à se dessiner plus nettement et à s’étendre. En résumé, au point de vue administratif, le siège épiscopal romain eut dès le principe un caractère spécial qui tenait à celui de la ville maîtresse du monde, et de même que le préfet de Rome différait des autres préfets, l’évêque de Rome ne fut pas un évêque comme un autre.

Sous le point de vue religieux, il se passa quelque chose de semblable. Rome chrétienne hérita en fait du culte que le monde païen avait rendu pendant tant de siècles et rendait encore à la déesse Rome, « mère des hommes et mère des dieux, » comme dit un de ses poètes ; elle en hérita sous une formule chrétienne, celle de son origine apostolique. La tradition, universellement reçue, que le siège de Rome avait eu pour fondateur le prince des apôtres, et la présence des tombeaux de saint Pierre et de saint Paul dans ses murs donnèrent à la métropole chrétienne un éclat religieux qui égalait presque l’ancien, ou plutôt les deux cultes se confondirent. Enfin un détail de gouvernement vint ajouter à ces raisons théoriques un argument pratique et l’exercice d’une autorité qui n’existait nulle part ailleurs. Depuis que les empereurs occidentaux avaient déserté le mont Palatin pour résider tantôt à Cologne et à Trêves, tantôt à Milan, le premier fonctionnaire ecclésiastique de Rome, l’évêque, était devenu, vis-à-vis d’un sénat organe du polythéisme, le représentant du christianisme lui-même. L’importance de l’évêque en avait grandi : il ne voyait personne au-dessus de lui, et dans les circonstances difficiles il traitait d’égal à égal, non pas seulement avec le préfet de la ville ou le consul, mais avec le sénat lui-même. À Constantinople, au contraire, l’évêque allait se perdre dans la foule des grands dignitaires qui formaient la cour du prince, et le