Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/163

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On a grand’peine à changer les institutions civiles d’un pays, et nos souvenirs sont là pour attester ce qu’on peut verser de sang et de larmes, pour opérer les réformes les plus légitimes et les plus simples. Trois quarts de siècle traversés par d’innombrables épreuves ne suffisent pas pour renouveler de façon durable la constitution d’un grand état. La monarchie, quand elle a longtemps subsisté sous la forme féodale ou sous celle de l’absolutisme, impose des efforts inouïs aux peuples et même aux princes qui entreprennent de la transformer au profit de la liberté. Il y a dans la tradition, dans l’habitude, dans la routine, une puissance contre laquelle la raison, la passion et le temps ne prévalent pas aisément. Comment supposer que les institutions religieuses soient plus maniables ? Elles sont l’œuvre de la tradition ; à leur ombre s’accomplissent les actes les plus importans de la vie. Une religion révélée est nécessairement tout historique. Le fait est pour elle l’origine du droit, le droit lui-même. Elle donne une date à ce qui doit être éternel. Naturellement tout ce qui en émane, tout ce qui s’y rattache participe dans les esprits de la sainteté du dogme. Ce que le souvenir, l’usage, la sympathie, le respect et surtout l’imagination ont identifié avec le fond des croyances, quand ce ne seraient que des formes extérieures, des coutumes changeantes, des pouvoirs de chair et d’os, devient inviolable dans l’illusion publique. L’histoire nous montre l’église avec tous les traits de l’humanité. Ses vicissitudes, ses erreurs, ses fautes, sont écrites partout. Cependant on nous parle de la divinité de l’église, comme on dit la divinité de Jésus-Christ. Essayez maintenant de persuader aux intéressés que sa constitution, plusieurs fois séculaire, puisse être retouchée sans profanation, et qu’une puissance spirituelle doive sortir définitivement de l’ordre civil et politique pour n’avoir plus d’existence que dans l’ordre moral !

En principe sans doute, la cause serait facile à soutenir. Qui n’aimerait mieux voir la religion, rendue à toute sa spiritualité native, et sans autre autorité que la parole, complément nécessaire de la pensée, se faire obéir par le libre consentement, ne rien emprunter à l’appareil extérieur du commandement parmi les hommes, et, laissant le magistrat dans sa sphère, enchaîner par d’invisibles liens les âmes qui se donnent à elle ? Mais ce platonisme religieux ne sera pas de longtemps populaire. Ce peut être le terme où tende tout progrès vraiment chrétien ; chaque fois que la raison, en s’éclairant, retranche au culte quelque chose de ce qui ne frappe que les yeux, n’émeut que l’imagination, n’excite qu’une crainte servile et une soumission extérieure, bonne pour les pouvoirs civils, elle rapproche, les chrétiens de l’Évangile, et les fait de plus en plus, citoyens de la cité de Dieu ; mais nous sommes loin de là, à ce qu’il