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semble : pas plus que les fidèles, les ministres ne sont prêts. Chez les premiers règne, même en matière spirituelle, ce besoin d’organisation, de réglementation, d’administration, qui est apparemment dans le tempérament français. Toute émancipation nous effraie. L’indépendance individuelle ne semble pas dans le génie national. Il nous convient que l’état se charge de nous servir en quelque sorte la religion comme tout le reste, et nous ne voulons pas prendre la peine de l’aller chercher : elle ne paraît obligatoire, comme on le dit des lois, qu’autant qu’elle est l’expression de la volonté générale. Bien des prêtres se montrent faiblement jaloux de leur indépendance. Au risque de supporter quelques vexations accidentelles, il leur plaît de pouvoir compter sur la souveraineté, de tenir de l’état leur existence et une partie de leur autorité. S’il leur fallait gagner chaque jour à la sueur de leur front le droit de parler dans la chaire de vérité, ils se croiraient délaissés et trahis par la société. Quoique les premières églises paraissent avoir été des républiques chrétiennes, rien n’est moins démocratique que les idées et les coutumes catholiques en ce qui touche la manière dont se prend et se transmet l’autorité. La libre concurrence appliquée à la vérité choque et effarouche. On se rappelle qu’il y a trente ans des esprits très distingués, les premiers peut-être alors de toute l’église, las de lui voir partager les disgrâces ou subir les caprices des gouvernemens, imaginèrent de réclamer sa séparation absolue d’avec l’état. C’était la doctrine du journal l’Avenir. On sait comment elle fut accueillie. Si l’on s’y était obstiné, elle obtenait pour tout succès l’excommunication. Il y a fallu renoncer authentiquement ; la liberté même de l’église est devenue une utopie que n’osent avouer ceux qui la rêvent encore. En 1848, la plus grande crainte que Rome éprouvât pour le clergé français et qu’il nous témoignât pour lui-même, c’était que, conformément à une opinion attribuée à M. de Lamartine, l’église ne fût absolument privée du concours de l’état et livrée à ses seules ressources. On sait enfin comment la théorie de l’église libre, quand elle nous vient d’Italie, est reçue dans le monde catholique, et de pieux théologiens dont elle est restée l’idéal n’oseraient divulguer ce secret de leur conscience. Un chrétien sincère et zélé, M. Frédéric Arnaud, vient, dans un ouvrage soigneusement médité[1], de reprendre courageusement cette thèse. Il croit que le progrès le plus évangélique qu’il reste à faire à l’église, c’est d’arracher de son sein jusqu’au dernier germe le royaume de ce monde. Il regarde le pouvoir temporel comme l’ivraie qui croît au milieu du bon grain. Il voit dans ce qu’on donne pour une garantie d’indépendance un gage de servitude réelle, car c’est être esclave

  1. L’Italie, 2 vol., Paris 1864.