Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/166

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sur cette grande question de la séparation de l’église et de l’état, c’est qu’en fait nous naissons dans une église comme dans un état. Ainsi la religion dans laquelle nous sommes élevés, comme la patrie politique à laquelle nous appartenons, résulte pour nous du hasard de la naissance. On peut donc dire que la nécessité nous impose l’une et l’autre. Or, comme à moins de circonstances exceptionnelles nous ne pouvons rien à notre nationalité, non plus qu’aux institutions qui nous régissent, la raison aussi bien que la force nous oblige d’adopter le gouvernement et les lois de notre pays ; nous n’avons pas le choix : nul ne se sent le moyen ni le droit de faire une révolution pour son compte. Une analogie spécieuse, fondée sur des circonstances extérieures identiques, persuade aisément aux autorités comme aux individus qu’il en est de même pour la religion, et l’éducation que nous avons reçue sans avoir été consultés, l’esprit de famille, l’exemple, l’instinct d’imitation, élément si puissant de la sociabilité, nous laissent rarement les maîtres de décider librement de la religion que nous professons. Or cette solution de la question de fait résout-elle également la question de droit ? Les ministres d’un culte établi le croient volontiers. Pourquoi ? C’est qu’ils tiennent ce culte pour le véritable, et du moment que la vérité commande, ils s’inquiètent peu des motifs de l’obéissance qu’elle obtient. Les magistrats ne conçoivent guère plus de doutes. Pourquoi ? C’est que la religion existante fait partie de l’ordre général, et pourvu qu’on se soumette à l’ordre, peu leur importe le reste. Mais c’est ici que protestent ceux que touchent les vraies raisons de la liberté religieuse. La société est une chose de nécessité ; elle a des avantages qu’elle fait payer par des inconvéniens. Si les uns excèdent les autres, on peut lui faire, et de bon cœur, le sacrifice de certains goûts, de certaines opinions, de certains intérêts, même de certains droits, qu’elle n’a pas su ou qu’elle ne peut ménager. Que faire d’ailleurs, quand on est seul contre elle ? Elle serait mal constituée, mal gouvernée, que dans la plupart des cas ce serait un devoir de prudence et même de justice ou d’humanité que de se résigner, et généralement cette résignation n’est que trop facile ; tout le monde en donne l’exemple. La religion est tout autre chose ; elle n’intéresse point la société, encore moins l’état, dont les destinées sont toutes terrestres. Imposée par hasard, acceptée par force, professée par habitude, elle n’a nulle valeur. La religion sans la piété n’est qu’un dehors trompeur, et la piété exige la sincérité et la liberté de l’adhésion au dogme qui la soutient. Or cette adhésion ne peut être qu’un acte de l’individu, agissant sous l’empire d’un sentiment qui lui soit propre. Si l’église est une société, c’est une société de consciences, non d’intérêts, de droits et de volontés ; or