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prince, qui depuis Constantin se regardait comme une sorte d’évêque supérieur, tranchait directement beaucoup de cas litigieux soit de discipline ecclésiastique, soit de dogme. Le pape de Constantinople était dans la vie politique un simple évêque ; le pape de Rome fut davantage.

Pour soutenir le rang que la force des choses leur imposait, les évêques de la ville éternelle durent adopter en partie l’apparat des hauts magistrats civils dont ils marchaient les égaux, leur luxe, leur représentation splendide, et ils bronchèrent sans peine sur cette pente naturellement glissante. La mollesse et l’orgueil allant de pair avec le luxe, le siège du pêcheur tendit de plus en plus à devenir un trône presque royal, Plus d’un évêque occidental s’en offusqua, mais l’irritation fut vive surtout dans les grands sièges d’Orient. « Je hais le faste de cette église, » disait Basile de Césarée, interprète en ceci des sentimens de ses frères. Ce poste envié s’acquérant par l’élection, une ambition fiévreuse envahit le clergé romain dans tous ses rangs : tout prêtre, tout diacre même voulut être pape, comme dans les armées tout soldat voulait être empereur. Rien ne fut plus épargné pour réussir, ni l’intrigue, ni la fraude, ni la calomnie, et la violence alla souvent jusqu’au meurtre. L’honnête et véridique païen Ammien Marcellin, qui fut presque témoin d’une élection papale où le sang avait coulé dans les églises et dans les rues, faisait à ce sujet ces réflexions pleines de sens : « Je ne suis pas surpris d’une telle ambition, dit-il, et je ne m’étonne pas non plus qu’on se batte si rudement pour la satisfaire, car une fois évêque on est assuré de grands avantages pour l’avenir et pour le présent ; on ne sort qu’assis dans un char, magnifiquement vêtu, et une table vous attend, dont la délicatesse pourrait défier celle des festins impériaux. — Ces hommes seraient plus heureux, ajoute-t-il avec un peu de mélancolie, si, au lieu de se fonder sur la grandeur de la ville, ils suivaient l’exemple de quelques évêques provinciaux que leur sobriété, la vileté de leurs vêtemens, l’humilité de leurs regards baissés vers la terre, recommandent aux adorateurs de leur Dieu comme de vrais pontifes dignes d’eux et de lui. » On raconte que Damase essayant un jour de convertir au christianisme le préfet de la ville, Prétextatus, païen spirituel et assez sceptique, quoique pontife de Vesta et du Soleil : « Oh ! s’écria celui-ci en riant, fais-moi évêque de Rome, et je me fais chrétien. »

On le voit, un matérialisme païen enveloppait toute cette société, chrétienne ou non, et le pasteur en était atteint comme le troupeau. On pouvait porter la croix sur sa poitrine et le nom du Christ sur ses lèvres, on était polythéiste par les mœurs. Le christianisme en effet n’avait accompli que la moitié de sa tâche avec Constantin ; il