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dont la fécondité ne se lasse jamais. Ainsi le riche delta du Nil, qui depuis tant de milliers d’années est l’un des greniers du monde, est descendu tout entier des hautes montagnes de l’Ethiopie. De même une grande partie de la Hollande n’est autre chose qu’un lambeau de la Suisse, déroulé comme un vaste tapis sur le sous-sol antique : sous chacun des polders rhénans, on pourrait retrouver à la fois dans un mélange intime le granit des Alpes et le calcaire du Jura. Les terres des grandes vallées américaines, où la végétation se développe avec tant de fougue et de puissance que l’homme ose à peine lutter contre elle, ont été également apportées des Montagnes-Rocheuses ou de la chaîne des Andes : les cimes infertiles et désertes ne cessent de s’abaisser, tandis que les débris, entraînés à des centaines ou même des milliers de lieues, accroissent de jour en jour le domaine habitable de l’humanité.

Ce sont là des faits géologiques parfaitement connus ; mais il est certain que les agriculteurs n’ont su jusqu’à présent en tirer qu’un bien faible parti. Ils se sont bornés à faire çà et là des opérations de colmatage. À l’époque des crues, quelques propriétaires riverains admettent l’eau trouble des fleuves dans les campagnes situées au-dessous des niveaux d’inondation et la laissent se déposer graduellement sur le fond, afin de renouveler ainsi la fertilité de la terre par l’addition d’un sol vierge. Ces procédés, qui malheureusement ne sont point employés aussi souvent qu’ils devraient l’être, produisent les plus excellens résultats ; mais qu’il y a loin de cette ancienne pratique de colmatage à la création de torrens artificiels, fabriquant sans cesse aux dépens des montagnes et au profit des plaines une énorme quantité de limon ! Il s’agirait désormais d’utiliser en faveur de l’agriculture et de discipliner, pour ainsi dire, ces eaux bondissantes qui depuis tant de siècles offrent vainement à l’homme la force gratuite de leurs rapides et de leurs cascades. M. Duponchel, n’eût-il fait que de suggérer cette idée si digne d’une attention sérieuse, mériterait déjà nos éloges ; mais il a su en outre donner une forme pratique à son idée, et s’offre à réaliser lui-même le projet qu’il a conçu[1]. Pour exposer le plan du savant ingénieur, il nous faut abandonner un instant l’uniforme plateau des landes et nous rendre au cœur, des Pyrénées, dans l’une des vallées les plus accidentées et les plus charmantes de la chaîne.

Entre les deux vallées de Bagnères-de-Bigorre et de Bagnères-de-Luchon s’ouvre la vallée d’Aure, où Coule le torrent de la Neste, qui, après un cours tortueux de quatre-vingts kilomètres environ,

  1. Voyez l’écrit intitulé Avant-Projet pour la création d’un sol fertile à la surface des landes de Gascogne, Montpellier, 1864.