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artificiel roulant dans ses eaux un dixième de son volume en limons argileux[1]. L’auteur du projet de fertilisation des landes ne doute pas que la pente du canal ne soit assez forte pour assurer le transport des matières limoneuses, à peine plus pesantes que l’eau et complètement dégagées de sable ; néanmoins il est le premier à demander qu’on lui permette de procéder à des expériences préliminaires pour réviser les formules empiriques relatives à l’écoulement des eaux troubles, fixer définitivement la pente que devrait avoir le canal sur les divers points du parcours, et constater d’une manière certaine la valeur fertilisante des alluvions artificielles.

Une idée neuve ne peut se faire jour sans qu’aussitôt la routine et la peur ne se liguent contre elles. Aussi plusieurs objections formulées contre le projet de M. Duponchel sont-elles dépourvues de tout caractère scientifique ; mais ces objections sans valeur n’en sont pas moins difficiles à écarter, tant les esprits faibles se laissent gouverner par la crainte des innovations. On n’a pas négligé non plus de faire intervenir les rivalités provinciales et d’invoquer les intérêts du département du Gers contre la Gironde et les Landes, comme si les procédés grandioses de colmatage que M. Duponchel a imaginés ne devaient pas un jour, justifiés par l’expérience, fournir les moyens de régénérer les terrains argileux du Gers aussi bien que les sables des Landes. Quoi qu’il en soit, la Société d’agriculture de la Gironde, tout en se déclarant incompétente sur les questions scientifiques et administratives, a émis le vœu que des études soient faites pour apprécier la valeur des alluvions artificielles appliquées aux terres stériles. Certes un groupe d’hommes réunis au nom du progrès agricole ne pouvait moins faire en faveur d’une invention qui révolutionnera peut-être complètement l’agriculture, non-seulement dans les landes françaises, mais aussi dans tous les pays où l’homme peut disposer d’eaux courantes pour les diriger sur des terrains infertiles. Si l’on tarde en France à conquérir tout ce qu’il nous reste encore de déserts, peut-être le système recommandé par M. Duponchel nous reviendra-t-il d’un continent voisin après avoir été appliqué par quelque grande compagnie industrielle. Qui sait si les Anglais ne songeront pas bientôt à profiter des eaux abondantes de l’Himalaya pour répandre des alluvions artificielles sur les solitudes stériles qui s’étendent entre la Djumna et le Pendjab !

  1. Dans les Alpes-Maritimes, le torrent de la Tuébie, qui parcourt une vallée dont les roches marneuses se délitent et se fondent pour ainsi dire avec une excessive rapidité sous l’action des eaux, transporte parfois, ainsi que j’ai pu le constater récemment, jusqu’à un vingtième de son volume en débris arrachés à ses bords. Ses eaux chargées de vase sont noires comme de l’encre. Lorsque de grands éboulemens se produisent, les torrens des montagnes peuvent être momentanément changés en avalanches de boue.