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Cette mise en culture du désert leur vaudrait l’annexion d’une nouvelle colonie.

Les théories émises par M. Duponchel sur la fertilisation des landes et d’autres terres actuellement stériles ne s’accordent point, nous l’avouons, avec ce principe des économistes modernes en vertu duquel les progrès de la culture sur un même terrain devraient nécessairement, et sous peine d’insuccès, s’accomplir par étapes régulières, du pâtis à la forêt, et de la forêt à la terre labourée. Toute transformation directe de landes vagues en champs et en jardins, sans que la terre passe par chaque période successive d’amélioration, peut sembler un fait monstrueux aux yeux de bien des agriculteurs classiques ; mais à une époque où la construction des chemins de fer précède en maintes solitudes du Nouveau-Monde et de l’Australie l’ouverture des simples sentiers, où les pirogues accouplées de la Mer du Sud sont remplacées par les grands vapeurs du commerce, on peut espérer qu’il n’est pas impossible, surtout au milieu d’un pays civilisé depuis longtemps et dans le voisinage d’une cité populeuse, de faire succéder immédiatement la grande culture à l’exploitation rudimentaire du sol. Certainement la fertilisation du sol landais était une chimère alors que les moyens de communication manquaient, et que la charrue et le fumier des rares bestiaux étaient les seuls agens d’amélioration agricole ; mais de nos jours il n’en est plus ainsi. L’industrie et le commerce assiègent le pourtour des landes ; la richesse, devenue générale dans le pays, permet d’appliquer des capitaux considérables à la culture du sol ; la science propose les moyens d’apporter une nappe vierge de terre végétale ; la population, rendue de plus en plus mobile par les routes et les chemins de fer, se déplace facilement à l’appel du travail. D’ailleurs les progrès agricoles réalisés dans la région landaise depuis une vingtaine d’années ont été assez nombreux pour qu’il soit permis de compter encore sur l’avenir. Un jour, nous n’en doutons pas, les landes seront devenues une plaine fertile dans toute leur étendue, comme elles le sont déjà aux alentours de Bordeaux : le nom qui leur fut donné jadis aura perdu toute signification, et l’aspect de la contrée tel que nous l’avons décrit dans ces études ne sera plus qu’une chose du passé.


ELISEE RECLUS.