Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/247

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Nous serions injustes si, manquant de sérieux nous-mêmes, nous ne distinguions point parmi les effusions oratoires auxquelles a donné lieu la session des conseils-généraux l’excellent et encourageant discours de M. Rouher. Le ministre d’état a parlé du moins avec ce sens de l’opportunité qui appartient à l’homme pratique ; il nous a annoncé un progrès réel, une réforme positive, l’augmentation des attributions des conseils-généraux. Son discours a été l’exposé des motifs animé, éloquent, d’un projet de loi qui sera soumis l’année prochaine au corps législatif. Il s’agit de donner aux conseils-généraux pour la gestion des affaires départementales une plus large délégation de la puissance de l’état ; il s’agit d’une tentative de décentralisation justifiée par l’expérience de l’institution des conseils et réclamée par les besoins présens du pays. M. Rouher a tracé l’histoire des conseils-généraux, les rattachant à une des plus sages inspirations de Turgot et rendant justice à la loi organique de 1838, qui leur a donné leur constitution actuelle. Il a montré que cette institution a fait ses preuves depuis trois quarts de siècle par les services qu’elle a rendus au pays, par l’éducation administrative qu’elle a entretenue et répandue dans nos départemens, par l’esprit éclairé et sage qui a toujours animé les conseils. C’est une pensée vraiment politique de prendre son point de départ dans une institution ainsi éprouvée pour accroître la part que les citoyens doivent avoir dans la gestion de leurs affaires locales, et décharger le pouvoir central d’une partie de la responsabilité du labeur et des charges que lui imposait une intervention trop minutieuse dans la direction des intérêts départementaux. Nous verrons comment le projet de loi tiendra les promesses du ministre d’état. Nous ne nous dissimulons point que l’œuvre que l’on va tenter sera incomplète tant que les garanties nécessaires d’une véritable liberté politique feront défaut. Cependant nous accepterons comme un bienfait et un progrès toute mesure qui, en augmentant l’initiative des citoyens dans la sphère des affaires locales, aura pour effet inévitable de rendre plus sensible la privation des libertés politiques, et d’accroître le nombre de ceux à qui l’expérience apprendra à quel point elles sont nécessaires à la bonne direction des intérêts locaux et à la bonne conduite des affaires administratives.

Quoi qu’il en soit, M. Rouher, avec le sens droit d’un homme pratique, ne nous signale la réforme projetée des conseils-généraux que comme un progrès utile et un acheminement au gouvernement du pays par le pays, Il ne vient pas proclamer que nous n’avons plus rien à conquérir en fait de libertés, et que la liberté est fondée en France. Il appartenait à M. le duc de Persigny d’émettre un si étrange paradoxe. M. le duc de Persigny est plus royaliste que le roi. L’empereur nous.avait fait entrevoir le couronnement de l’édifice par la liberté ; suivant M. le duc de Persigny, l’édifice ne sera point couronné, il l’est déjà, il l’a été dès les premiers jours. Nous possédons la seule forme sous laquelle la liberté puisse être organisée