Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/248

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en France. Chose non moins curieuse, M. le duc de Persigny se donne pour libéral. Singulière fortune de ce mot de liberté ! Quand, il y a quelques années, nous commencions à le prononcer ici avec quelque fermeté, on s’étonnait de notre audace, et de timides amis nous prédisaient que nous ne pourrions pas soutenir longtemps la campagne du libéralisme, et aujourd’hui M. le duc de Persigny écrirait volontiers sur son chapeau : C’est moi qui suis le fondateur de la liberté ! Si l’ancien ministre de l’intérieur n’est pas l’auteur de la constitution actuelle, il s’en fait du moins le commentateur attitré ; il en est le Delolme. Au fond, sa harangue imprévue vise à être la réfutation de l’admirable discours que M. Thiers prononça au début de la dernière discussion de l’adresse. Nous n’avons pas l’intention de discuter ce manifeste. Comme nous l’avons dit, il se compose d’une théorie historique et d’une théorie de métaphysique politique. La théorie historique repose, sur l’éternelle comparaison entre l’Angleterre et la France, comparaison à laquelle M. de Persigny se plaint qu’on l’oblige de revenir sans cesse. Cette composition d’histoire de M. de Persigny est connue ; il est inutile d’en réfuter les erreurs obstinées. Pour la partie qui touche à l’histoire de France, il faut la donner à corriger à M. Duruy ; pour la partie qui concerne l’Angleterre, il suffit de renvoyer l’essayist politique de Saint-Étienne à la presse anglaise. Notre théoricien pourra voir dans le Times d’hier le cas que les Anglais font de ses vues ou, pour mieux dire, de ses visions historico-politiques sur l’Angleterre. On rit beaucoup à Londres de ce fantôme des conquérans normands et d’une toute-puissante noblesse anglaise qui hante l’imagination du plus récent de nos ducs. « Si M. de Persigny, dit le Times, se donnait seulement la peine de lire les discours de nos orateurs aussi attentivement que nous lisons nous-mêmes ceux des orateurs publics de la France, il aurait pu voir, il y a une semaine, un portrait des Anglais tracé par l’un d’eux bien, différent de celui qu’il a présenté à ses auditeurs… M. de Persigny peut s’assurer par lui-même que notre corps électoral est beaucoup plus considérable et moins exclusif qu’il ne se le figure, que le lord d’un comté n’est que très rarement le représentant d’un baron normand, et que jamais il ne décide de la taxation du peuple. Le pouvoir politique dans nos institutions réside principalement dans les mains d’une classe, de la vaste et prépondérante classe moyenne qui représente l’industrie, la richesse, l’éducation et l’intelligence de la nation, excitée par l’influence de la classe qui est au-dessus et enrichie par les accessions incessantes venant de la classe qui est au-dessous. Dire que cette classe se gouverne elle-même, c’est dire que le pays se gouverne lui-même conformément à la meilleure théorie de gouvernement qui existe. »

La philosophie politique du duc de Persigny n’est pas moins chimérique et moins contradictoire que ses fantaisies historiques. Notre commentateur constitutionnel rêve une séparation complète et une indépendance