Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/255

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simple rôle de scrutateurs, ont-ils pu avoir la pensée de placer leur appréciation au-dessus de la volonté souveraine-du peuple se manifestant par la majorité incontestable donnée à un candidat ? La passion et l’entêtement de l’esprit de parti expliquent seuls une pareille aberration. Cette usurpation de pouvoir commise par la majorité du grand bureau est la cause du malheur qui a bientôt suivi. Il est naturel que l’excès de pouvoir du grand bureau ait excité l’émotion et l’indignation du parti qui venait en réalité de triompher. L’acte de violence inexcusable auquel des radicaux se sont portés sur la foule désarmée des indépendans n’a été que la conséquence de la décision arbitraire du grand bureau. Après avoir commis la faute de ne point céder de bonne grâce au verdict de la majorité, une fraction du parti radical a eu le tort plus grave encore de s’armer, de faire feu sur des concitoyens et de protester par la violence contre l’essence même de la légalité démocratique, le tort de rendre l’intervention du pouvoir fédéral nécessaire dans les affaires intérieures de la république, le tort d’exposer les institutions libérales et radicales de Genève à l’animadversion de cette portion de l’opinion publique européenne qui n’est que trop prompte à s’effrayer quand on lui par le des périls de la liberté et des excès de la démocratie.

Nous devons dire à l’honneur de Genève et de la Suisse que la triste fusillade de la rue du Mont-Blanc et du Pont-des-Bergues n’a éveillé aux bords du lac Léman aucune de ces lâches pensées de réaction politique dont nous avons eu ailleurs si souvent le honteux spectacle en des occasions semblables. Il ne peut pas venir à la pensée d’un Suisse de chercher en dehors de la liberté même une défense contre les accidens d’une liberté tumultueuse. On ne songe pas, dans ces vieilles républiques dont l’Europe devrait être fière, à découvrir des sauveurs de sociétés pour s’abriter derrière eux. On se fût virilement battu à Genève, s’il l’eût fallu, et le lendemain, quel qu’eût été le vainqueur, la vie libre eût recommencé pour tous ; mais, grâce à Dieu, la lutte ne s’est point portée à ces extrémités. Le conseil d’état a fait appel à l’autorité fédérale, et dès que ce recours a été connu, la sécurité est aussitôt rentrée dans toutes les âmes. On a eu foi dans le droit et dans la loi représentés par l’autorité fédérale.

Deux bataillons de milice vaudoise,. composés de citoyens de toutes les classes enlevés subitement à leurs occupations, mais qui sous les armes ont un aspect militaire séduisant, même pour un Français, sont arrivés sur-le-champ à Genève. Nous étions en ce moment dans le canton de Vaud, et nous avons vu partir gaîment cette belle milice : elle jugeait sévèrement, quoiqu’elle appartienne à un canton radical, la brutale et cruelle conduite des radicaux genevois : elle était prête à défendre la loi et à maintenir l’honneur de la confédération. Elle n’a trouvé heureusement à Genève que la confiance dans l’équité de la médiation fédérale. L’affaire est aujourd’hui entre les mains de l’autorité et de la justice fédérales. Nous autres étrangers, sans nous mêler aux ressentimens trop naturels qu’excitent