Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/305

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deux faits dominent l’histoire des deux dernières années : la question polonaise et la question danoise. En faveur de chacune d’elles, l’Occident libéral a vainement invoqué le droit et les traités ; il a perdu à cette occasion deux campagnes diplomatiques, et, comme dans plus d’une défaite d’une cause juste, c’est la désunion des alliés qui a surtout contribué au triomphe de l’adversaire. Ce n’est pas du reste seulement par ce côté moral que les deux événemens se touchent et se ressemblent : ils se relient entre eux par des attaches bien autrement réelles, ils se complètent et s’expliquent l’un par l’autre. C’est donc sur ces deux principales négociations de la politique contemporaine que l’on voudrait ici appeler l’attention en consultant les papiers diplomatiques. Les pièces ne manquent pas en effet au procès, elles abondent. Si le gouvernement français a été parcimonieux dans ses communications aux corps de l’état et au public, le ministère britannique en revanche a fait distribuer au parlement, sur ces deux négociations, une correspondance très volumineuse, que M. Disraeli a même trouvée « suffocante, » et qui est des plus instructives sur presque tous les points de cette étude. Nous n’avons pas non plus négligé de mettre à profit plusieurs documens inédits et quelques renseignemens précieux et authentiques qui jettent une vive lumière sur certains faits ; nous avons toutefois eu soin de distinguer scrupuleusement ces informations des documens rendus publics, qui sont accessibles à toute vérification, et qui formeront la hase principale de ce récit.


I

Pour bien faire comprendre le caractère des vicissitudes de la période actuelle, il paraît indispensable de jeter un coup d’œil rapide sur le nouveau système d’alliances qui a prévalu ou qu’au moins on a tenté d’établir en Europe depuis le congrès de Paris (1856), alors que commençait à se dissoudre l’imposant faisceau de puissances qui avait fait la force aussi bien que la grandeur morale de la guerre de Crimée. Cette guerre a été en effet la manifestation éclatante et seulement beaucoup trop passagère de la solidarité qui, malgré les rivalités du moment et les apparentes divergences, devrait toujours exister entre les grands états vraiment européens. Le monde chrétien des temps passés a eu plus qu’on ne le pense la conscience de son unité morale, le sentiment de constituer un Occident libre et civilisé en opposition à un Orient barbare et envahisseur. Or ce noble et magnifique sentiment, qui a créé toutes les grandes choses de l’histoire, qui anime aussi bien l’Iliade et les livres d’Hérodote que les chants de Roland et du Cid,