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homme, un diplomate, qui s’émut à l’idée de l’épouvantable catastrophe dont la Pologne était menacée, qui fit un effort spontané, inutile, hélas ! mais honorable, pour prévenir ce grand malheur, et ce diplomate fut un Russe. Le prince Orlov, qui de son poste à Bruxelles suivait depuis longtemps avec intelligence et anxiété la tragédie qui se déroulait sur les bords de la Vistule, quitta de son propre mouvement la Belgique à la nouvelle du coup de vigueur qu’on projetait, et se dirigea en toute hâte sur Varsovie. Il comptait sur l’ascendant de son nom, sur la renommée d’un homme honnête et loyal entre tous, enfin sur l’amitié que lui portait le grand-duc Constantin pour ébranler ce dernier dans sa résolution fatale. Il y réussit un instant ; mais bientôt les avis contraires prévalurent. On était convaincu de la nécessité, de l’utilité de la mesure, « l’abcès était mûr et demandait une prompte opération ; » on répondait d’ailleurs du succès et on était tout étonné des frayeurs exagérées du prince, frayeurs que les hommes « sensés, » que les résidens des puissances étrangères eux-mêmes étaient loin de partager[1]. Le grand coup fut donc frappé à Varsovie, le 15 janvier 1863, dans la nuit, ou, pour employer l’euphémisme officiel, a d’une à huit heures du matin. » Et quelques jours après le cabinet des Tuileries recevait de son ambassadeur auprès d’une grande cour d’Allemagne une dépêche télégraphique conçue à peu près dans les termes suivans : « Une insurrection vient d’éclater en Pologne ; quelle doit être mon attitude ? »

Malgré l’abstention de la diplomatie, malgré le fameux article du Journal officiel de Varsovie, qui assurait que les malheureuses victimes du guet-apens nocturne avaient témoigné « de l’empressement et de la bonne volonté, de la gaîté et de la satisfaction d’aller se former à l’école d’ordre que leur ouvrait le service militaire russe ; » enfin, malgré la communication étonnante adressée de Saint-Pétersbourg le 26 février à tous les télégraphes de l’Europe, « que les Polonais avaient projeté une Saint-Barthélémy contre les Russes, » les gouvernemens de l’Occident, pas plus que l’opinion publique, ne prirent le change sur le caractère et la moralité de « l’opération » qui venait d’être faite sur une nation chrétienne et en plein XIXe siècle. « J’ai demandé au comte Rechberg ce qu’il pensait du soulèvement, écrit lord Bloomfield au comte Russell sous la date du 29 janvier ; il m’a expliqué que, d’après les renseignemens qu’il avait reçus, le gouvernement russe en était en partie la cause. » M. Murray mande de son côté de Dresde (30 janvier) :

  1. Il est remarquable en effet que le colonel Stanton par exemple, agent anglais à Varsovie, ne se montra d’abord nullement ému de la conscription et fut bien près d’en féliciter le gouvernement russe. Voyez sa dépêche en date du 19 janvier 1863.