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de s’étendre sur tout l’Orient. Voici quelle en était l’origine. L’église d’Antioche, toujours en guerre intestine, avait subi l’une après l’autre toutes les hiérarchies ecclésiastiques, suivant la force des partis et le caprice des empereurs : arienne ou semi-arienne sous Constance, elle était redevenue catholique par la grâce de Julien, qui, durant son court passage à l’empire, s’empressa de lui rendre ses évêques proscrits, afin de la diviser davantage. Tout était querelle et faction dans cette turbulente cité, dont l’auteur du Misopogon nous a tracé une si acre et si vivante peinture. Or, du temps de Constance, il était arrivé que, dans un rare moment de rapprochement et de calme, ariens et catholiques, ou du moins la majorité des deux communions, s’étaient entendus pour le choix d’un évêque : on était allé chercher à Bérée un homme qui, dans ce siège, et auparavant dans celui de Sébaste en Arménie, avait donné la preuve d’un esprit équitable et conciliant. Il se nommait Mélétius, et les historiens nous disent qu’il prêchait surtout aux fidèles la doctrine morale, qui ne diffère point entre le catholique et l’arien, mais que, lorsqu’il fallait se prononcer sur le dogme, il n’hésitait point à se proclamer hautement consubstantialiste. L’empereur Constance, qui ne l’était pas, profita d’un de ses aveux pour l’exiler, et Mélétius joignit à la gloire de la tolérance les honneurs du martyre. Pendant l’exil du pasteur légitime, deux évêques intrus mirent la main sur le troupeau, qu’ils se disputèrent. Un arien, Euzoïus, fut installé officiellement par ordre de Constance, tandis qu’un légat du pape de Rome, Lucifer de Cagliari, assisté de deux autres prélats occidentaux, ordonnait évêque catholique un prêtre nommé Paulin, ordination contraire aux canons, puisque l’évêché d’Antioche n’était pas vacant, et que d’ailleurs la règle ecclésiastique ne voulait pas qu’un évêque étranger pût en instituer un autre sans le concours des évêques comprovinciaux. Son exil fini, Mélétius vint reprendre l’administration de l’église dont il ne s’était séparé que malgré lui.

En stricte équité, le devoir de Paulin était de se démettre, Mélétius étant catholique comme lui, et de plus ayant souffert pour la foi, ce que Paulin n’avait pas fait ; mais il en jugea autrement, et les Occidentaux, dont il était l’œuvre, approuvèrent sa persistance. « Mélétius, disaient-ils, élu par une réunion d’ariens et de catholiques, n’avait jamais pu être qu’un évêque arien, l’immixtion des hérétiques viciant radicalement le caractère de l’élection. Paulin, élu par les seuls catholiques, n’avait donc rien entrepris contre personne, et avec juste raison ne reconnaissait d’autre évêque catholique que lui-même. » Des faits nombreux, ratifiés par l’église, démentaient ce raisonnement ; toutefois ceux des catholiques d’Antioche qui prétendaient