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aux champs la paix que notre patrie, nous refuse. Nous ne voulons rien avoir à démêler avec personne, et nous croyons que, s’il faut déférer aux évêques, quand ils enseignent la véritable foi, les respecter, les honorer comme des pères, nous ne sommes pas tenus de trembler sous eux comme sous des maîtres. »

La paix lui manqua là comme ailleurs. Soit que l’hydre (comme il appelait Lupicinus) l’y poursuivît encore, soit qu’il se dégoûtât finalement d’un travail intérieur sans résultat, il dit adieu à son frère, et partit brusquement pour Aquilée dans le dessein de revoir quelques amis et de gagner ensuite la Syrie ou l’Égypte. Il y trouva plusieurs de ses compagnons de retraite dans la même inquiétude d’esprit, dans la même disposition d’âme ; il n’eut pas de peine à les convaincre par ses discours, et ils projetèrent de partir ensemble pour l’Orient. Innocentius et Nicias adoptèrent même cette idée avec chaleur ; le pacifique Héliodore n’y consentit que par curiosité ou par affection pour son ami, et Hylas ne voulut point se séparer du maître qu’il s’était donné.

Sur ces entrefaites arriva dans Aquilée un prêtre d’Antioche qui était venu en Italie, au nom d’une partie des catholiques syriens, pour expliquer aux évêques occidentaux la situation de son église, et qui retournait dans sa patrie après avoir rempli cette mission. Évagrius (c’était son nom), homme instruit et de rang distingué, confirma les jeunes Aquiléens dans leur projet, s’offrant à leur servir de guide pendant le voyage, et d’introducteur plus tard près des catholiques syriens. Ils s’embarquèrent tous avec lui, sauf Jérôme, qui préféra suivre la route de terre. Tandis qu’ils cinglaient d’Aquilée vers le cap Ténare et les Cyclades, il se dirigea sur Constantinople par la vallée du Danube et la Thrace, emportant avec lui un trésor qui ne le quittait jamais, cette bibliothèque qu’il s’était formée à Rome, et qui était en grande partie l’œuvre de sa main. Dans ce voyage, il visita au-delà du Bosphore le Pont, la Bithynie, la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie, où il nous raconte qu’il faillit mourir de chaud. À Césarée en Cappadoce, il retrouva Evagre, qui avait été chargé par son église d’une autre mission près de l’évêque de cette. ville, Basile, que la postérité a justement surnommé le Grand. Ils partirent ensemble, et, franchissant les pentes du mont Amanus, Jérôme rejoignit ses amis dans Antioche à la fin de l’année 373.


IV

En se faisant l’introducteur des quatre Occidentaux dans la ville d’Antioche, Évagre les jetait au milieu d’un schisme qui ne troublait pas seulement cette ville et les églises de Syrie, mais menaçait