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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/345

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regarde cette convention même du 8 février, dont on s’obstinait à faire le chef unique du procès, n’était-il pas évident aussi que la Russie en était responsable à l’égal au moins de la Prusse, et qu’un traité synallagmatique conclu entre deux puissances ne saurait être mis à la charge d’une seule de ces puissances et à l’exclusion de l’autre, si ce traité est contraire au droit des gens et aux intérêts de l’Europe[1] ? Qu’il était étrange, au surplus, le point de vue général auquel se plaçait le cabinet des Tuileries en déclarant (dans la dépêche au baron Gros) que « les douloureux incidens de la résistance des populations à une mesure d’administration intérieure n’avaient pu être envisagés que d’un point de vue d’humanité, ». et que ce n’est que l’arrangement signé le 8 février « qui est venu inopinément donner à cette crise un caractère politique ! » N’était-ce pas là renoncer prématurément à tout droit de remontrance pour le cas où la convention du 8 février viendrait à être abandonnée de manière ou d’autre ? n’était-ce pas jouer trop complaisamment le jeu même de la Russie, qui n’a cessé de prétendre que le régime pratiqué par elle en Pologne était une question tout intérieure à laquelle les puissances étrangères n’avaient rien à voir ? La conservation de la Pologne est un intérêt éminemment européen, et c’est pour s’assurer cet avantage que l’Europe entière, tout en consacrant en 1815 l’œuvre néfaste des partages, avait stipulé pour les diverses parties de l’ancienne Pologne « une représentation et des institutions nationales » (art. 1er du traité de Vienne) ; or, quand un gouvernement lié par ces stipulations fait tout son possible, selon le mot de lord Napier, « pour provoquer et étouffer une insurrection » dans une partie de cette Pologne, quand, sous le prétexte d’un recrutement, il inaugure une véritable et épouvantable proscription dans un pays qui d’après les traités aurait dû jouir d’une constitution, de chambres et d’une armée nationale…, en vérité c’est pousser trop loin la complaisance que de prétendre ne voir en tout cela que « des mesures d’administration intérieure ! » Quant au côté pratique du système adopté alors par la France, on a quelque peine à comprendre comment on a pu avoir un moment l’espoir de lui gagner l’adhésion de

  1. Lord Cowley s’exprime ainsi dans sa lettre du 21 février, en rendant compte à lord Russell de la dépêche que M. Drouyn de Lhuys venait d’envoyer au baron Gros et dont il lui avait fait lecture : « Il serait inutile d’entrer dans les détails de cette dépêche. Je dirai simplement que, pendant que la position du gouvernement russe, dans les domaines duquel existe l’insurrection qui a donné lieu à cette convention, engage M. Drouyn de Lhuys à s’abstenir d’exprimer aucune opinion sur ce document, son excellence l’appelle au gouvernement russe, etc. » Lord Cowley se montre ici piquant jusqu’à la malice.