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révolutionnaires, » le gouvernement français devait donc faire des vœux pour que rien ne vînt rendre sa position plus difficile vis-à-vis du cabinet de Saint-Pétersbourg et créer une situation qui pourrait devenir « pénible » aussi bien à la France qu’à la Russie elle-même. Du reste nulle allusion au traité conclu avec la Prusse, nulle mention non plus de la récente mesure du recrutement ni du système général pratiqué en Pologne. En somme, la France avait plutôt l’air d’exposer à la Russie « ses perplexités, » en la priant de ne pas les augmenter, que de lui faire des reproches et de la rappeler au respect de l’humanité et du droit.

Telle fut la première passe d’armes du cabinet des Tuileries dans cette campagne diplomatique, et on a beaucoup admiré la dextérité et la finesse qu’il aurait montrées en cette occasion. Cette habileté, au jugement de quelques-uns, aurait surtout consisté dans l’à-propos avec lequel on s’était saisi du prétexte de la convention prussienne, pour élever la question polonaise au-dessus d’une controverse sur « une mesure d’administration intérieure » et lui conférer un caractère européen. Il est permis néanmoins de faire quelques réserves quant au mérite de cette tactique, et si au surplus, dans des négociations qui avaient eu malheureusement tant de causes d’insuccès, on était sommé d’indiquer celle qui fut la plus fatale, on aurait peut-être quelque raison de la chercher précisément dans la manière même dont le débat fut originairement engagé. Et d’abord, au point de vue de la morale et de la justice, n’y avait-il pas quelque chose de spécieux et d’équivoque à passer ainsi à côté de la Russie et à ne vouloir s’en prendre qu’à la Prusse seule ? Sans doute la conduite de la Prusse était bien répréhensible et son empressement à offrir ses honteux services dans une œuvre inique méritait d’être stigmatisé ; mais qu’était tout cela en comparaison des actes de la Russie, du déni de justice, de lumières, de civilisation et de vie même, qu’elle n’avait cessé d’opposer à la Pologne depuis trente ans, de sa dernière mesure de conscription et de la guerre implacable qu’elle faisait en ce moment à une population déjà si cruellement éprouvée ? Lord Cowley n’avait-il pas raison de demander pourquoi on s’acharnait tant contre celui qui ne faisait en définitive qu’aider indirectement et incidemment l’exécuteur, tandis qu’on ce laissait le grand coupable comparativement en dehors du blâme ?…[1] » Dans l’espèce, comme disent les légistes, en ce qui

  1. « J’ai répété (à M. Drouyn de Lhuys) ce que je lui avais dit avant mon départ pour Londres, qu’il a été impossible au gouvernement de sa majesté d’accepter la proposition de son excellence relativement à la note identique à adresser au gouvernement prussien, parce qu’en mettant, quoique avec justice, la conduite de la Prusse sous un jour répréhensible, elle laissait le plus grand coupable comparativement en dehors du blâme. Le gouvernement de sa majesté se croyait obligé de s’adresser aux gouvernemens prussien et russe à la fois. » (Lord Cowley au comte Russell, 16 mars 1863.)