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de France à Constantinople, avait touché à Rhodes le 9 de ce mois, après avoir déposé un envoyé du divan à bord du vaisseau monté par le capitan-pacha. Deux politiques bien diverses dans leurs tendances commençaient alors à se manifester. L’une favorisait la fuite du capitan-pacha, elle voulait sauver la flotte turque des mains des Russes ; l’autre faisait courir après le déserteur pour l’empêcher de livrer cette flotte à Méhémet-Ali. Bien jeune encore, je ne pouvais qu’observer sans oser porter de jugement ; mais naturellement j’inclinais, comme on fait toujours à cet âge, vers le parti le plus aventureux, vers la politique qui voulait rajeunir l’empire ottoman plutôt que vers celle qui ne songeait qu’à prévenir sa dissolution.

Le 16 juillet, je courus à la recherche de l’escadre turque. J’avais lieu de supposer que je la trouverais au mouillage de Fenica. Le 17, à neuf heures du matin, je découvris au fond d’une vaste baie, que je reconnus bientôt pour la baie de Cacamo, un brick de guerre, une goélette et un bateau à vapeur portant le pavillon ottoman, Je donnai pour les joindre dans une passe étroite, qui heureusement se trouvait saine ; à 10 heures, j’étais en panne par le travers du brick. Tout ce que je pus tirer du capitaine de ce bâtiment, c’est que la flotte turque tenait la mer. Le capitan-pacha l’avait détaché à Cacamo, et il y attendait de nouveaux ordres. Je sortis de la baie et je courus au sud toute la journée dans l’espoir de découvrir l’escadre turque. Ayant fait 35 milles au large sans rien apercevoir, je revins à Rhodes. Il me paraissait impossible que le capitan-pacha, pressé par l’envoyé du divan de rentrer dans les Dardanelles, ne se montrât pas bientôt en vue de cette île. Il n’avait pas d’autre chemin pour remonter vers le nord.

J’aurais pu cependant attendre longtemps la flotte turque sur la route de Constantinople, car elle avait pris celle d’Alexandrie. C’était là qu’avait abouti la mission de l’envoyé de Kosrew. Le capitan-pacha avait d’abord accueilli cet agent avec une sorte de déférence ; mais lorsqu’il l’eut promené pendant quelques jours sur la côte de Caramanie, le tchaous devint plus pressant. Le capitan-pacha le fit entrer dans sa chambre. « Je connais ta mission et tes projets, lui dit-il. Tu es venu ici pour m’enlever à la fois le commandement de la flotte et la vie. C’est moi qui vais avoir la tienne, si tu ne me révèles à l’instant tes intrigues et celles dont tu n’es que le vil instrument. » En Turquie, de semblables paroles sont sérieuses. Le tchaous les prit pour telles et s’exécuta. Il avoua tout. Les paroles de conciliation qu’il avait apportées, les promesses d’oubli et de tendresse dont il s’était fait l’interprète n’étaient qu’un piège. Le capitan-pacha était déjà condamné. Ce dernier n’en avait jamais