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Stopford, qui avait connu l’amiral Lalande dans la baie de Tunis, s’était pris d’une soudaine sympathie pour cette nature si gracieuse et si profondément séduisante. De son côté, l’amiral Lalande faisait le plus grand cas d’une expérience acquise dans la pratique de la grande guerre. Il avait pour les avis du vénérable amiral une déférence qui prenait sa source dans un profond et affectueux respect. Il était beau en effet de voir ces cheveux blancs, sur lesquels avaient passé tant de nuits orageuses, tant de jours de combat, reparaître, à la veille d’une grande bataille peut-être, sur le tillac d’un trois-ponts d’où le regard pouvait embrasser toute une escadre, d’où la pensée d’un seul homme pouvait la diriger. L’amiral Stopford, appartenant au parti tory, avait été longtemps éloigné du service actif. En Angleterre, les crises ministérielles ont plus de portée que les révolutions chez nous. Les emplois, même dans la marine, deviennent presque toujours le lot du parti dominant. Pendant plusieurs années, on vit des escadres de whigs, comme on avait vu des escadres de tories. C’est ainsi qu’après dix ou quinze ans d’inaction des capitaines, remis à flot par une marée soudaine, reparurent tout à coup sur des vaisseaux qui ne les attendaient plus. Les couches qui renferment les véritables richesses de la Grande-Bretagne sont profondes ; elle ne les exploite pas dès le premier jour. L’Angleterre a ses escadres de paix : ne jugez point par là de sa puissance. Le moment venu, elle fera sortir des rangs inférieurs de sa flotte tout ce qu’il faut pour constituer réellement une escadre de guerre. L’escadre de l’amiral Stopford avait une certaine gravité d’allures, un besoin de repos qui convenaient à l’âge assez avancé de la plupart de ses capitaines. Le contraste fut frappant quand elle se trouva en présence de vaisseaux tourmentés jour et nuit par la bouillante ardeur du plus infatigable de tous les amiraux. Ce fut néanmoins cette même escadre qui fit l’année suivante la campagne de Syrie et qui supporta si admirablement les rigueurs des coups de vent de nord sur lesquels nous comptions comme sur les meilleurs alliés de Méhémet-Ali.

L’amiral Stopford se retrouvait dans la Méditerranée sur un terrain connu. De Gibraltar à Malte, il savait le lieu de toutes les grandes aiguades, pour les avoir fréquentées jadis avec Nelson : Pula, Tétouan, Syracuse, Porto-Farina, etc., étaient des mouillages qui lui avaient été longtemps familiers. Dans l’Archipel, où il avait, je crois, suivi un instant lord Collingwood ou l’amiral Duckworth, ses souvenirs le servaient moins bien. Aussi daigna-t-il, quand j’allais me retirer après m’être acquitté de ma mission, me retenir pendant quelques instans encore pour m’interroger avec une bonté et une condescendance extrêmes sur chacun des points que j’avais visités.