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Il tenait surtout à savoir dans quelles baies une grande flotte pouvait rapidement renouveler son approvisionnement d’eau. Ce ne sont pas des fontaines ordinaires, celles qui peuvent suffire à de pareils besoins. Pour les aller chercher, des amiraux désespérés se sont vus bien souvent contraints d’interrompre une croisière. L’amiral Stopford se rappelait ces grosses préoccupations d’autrefois. La distillation de l’eau de mer ne nous en a complètement affranchis que quelques années plus tard.

Je quittai enfin le vaisseau la Princesse Charlotte, sur lequel flottait le pavillon de l’amiral, pour retourner à bord de la Comète. L’escadre anglaise avait continué de s’élever au vent. Un brick qui venait de communiquer avec le port de Rhodes, le Zébra, commandé par le fils de l’amiral, restait en panne, bien que son embarcation l’eût rejoint. Je compris que c’était un défi qu’on me proposait. On m’en avait dit quelques mots à bord de la Princesse Charlotte. J’ignorais jusqu’à quel point je pouvais compter sur la marche de la Comète, et cependant j’avais bon espoir. Le Zébra avait commencé par m’attendre sous ses huniers et ses perroquets. Je serrai le vent, et bientôt le Zébra s’aperçut que la lutte serait plus sérieuse qu’il ne l’avait imaginé. Il se hâta d’amurer ses basses voiles. Je vis ses soldats de marine monter sur les bastingages pour serrer la petite tente qui abritait le gaillard d’arrière. La Comète avançait toujours. Un bruit de chaînes qu’on tirait de la cale vint m’apprendre que le Zébra en était déjà aux expédiens. Notre grand foc commençait à mordre sur son arrière. Ce fut fini. En quelques minutes, nous avions gagné une encablure. La brise fraîchissait. Toute la journée, nous louvoyâmes dans le canal de Rhodes avec des chances diverses ; la Comète néanmoins garda jusqu’au bout son avantage. Vers le soir, elle avait gagné plus d’un mille dans le vent sur le Zébra, le reste de l’escadre était derrière nous à perte de vue. Tant que j’ai commandé ce cher petit brick, — et je l’ai commandé quatre ans, — je n’ai jamais rencontré un bâtiment qui l’ait battu. Il avait surtout un don particulier pour serrer le vent. Sous Saint-George de Skyro (le Scyros d’Achille), l’amiral Lalande voulut un jour, par une fraîche brise de nord, essayer la vitesse de son escadre. L’Iéna, auquel le commandant Bruat avait d’un seul coup enlevé 150 tonneaux de lest, marchait bien : il gagna tous les autres vaisseaux ; mais il fut gagné par la Comète.

Je devançai à peine d’une quinzaine de jours l’amiral Stopford et son escadre devant Ténédos. La diplomatie avait arrêté Ibrahim-Pacha et les Russes ; il était difficile de prévoir combien de temps durerait cette trêve. Les escadres en conséquence attendirent, l’escadre anglaise avec le calme d’un lion assoupi, la nôtre avec l’agitation