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fois, sous un nom emprunté, une des routes qui conduisent aux Indes. Le cabinet britannique faisait trop d’honneur à notre ambition. Nous ne songions à rien de semblable : protéger et grandir le pacha d’Égypte, c’était notre manière à nous de sauver l’empire ottoman. Je par le ici non point de la politique du gouvernement de 1830, mais, si l’on veut bien me passer le mot, de la politique de l’escadre et des illusions dont j’ai eu ma part. Quoique divisées au fond, l’Angleterre et la France poursuivaient encore en apparence le même but : elles réclamaient avant tout du vice-roi la restitution de la flotte ottomane. Une dépêche pressante arriva de Paris, et l’amiral Lalande m’envoya la porter en Égypte. J’appareillai par un vent violent qui avait obligé l’escadre à mouiller une seconde ancre. En trois jours, j’étais devant Alexandrie ; le 15 août 1839, je mouillais dans le port. Vingt vaisseaux, sans compter les frégates et les corvettes, y étaient entassés : tout était entré, les trois-ponts comme les autres. Rien n’est impossible à des gens qui ont peur.

Le soir même de mon arrivée, je fus présenté au vice-roi par le consul-général de France, M. le baron Cochelet. Méhémet-Ali ne paraissait nullement fatigué d’avoir travaillé pendant cinquante-trois ans à son élévation. C’était encore à cette époque le plus vert vieillard qu’on pût voir. Ses yeux étaient vifs et mobiles, son regard pétillant de malice et d’astuce. Le vice-roi était en veine de causerie, nous en profitâmes. Kosrew-Pacha était alors, à l’en croire, le seul obstacle à la paix. Il lui avait écrit pour l’inviter à abandonner les affaires et à se retirer en Égypte, lui promettant un noble refuge et, qui plus est, l’honneur de sa compagnie, car le vice-roi se sentait vieillir et voulait songer à son salut. Si Kosrew consentait à venir en Égypte, si en même temps l’Égypte, la Syrie et Candie étaient assurées, sous la suzeraineté de la Porte, à la famille de Méhémet-Ali, son altesse voulait faire bâtir à La Mecque deux palais d’une égale splendeur. L’un serait pour Méhémet, l’autre pour Kosrew. Là, les deux vieillards réconciliés achèveraient en paix une carrière si longtemps laborieuse. Le vice-roi montrait en ce moment une véritable passion pour le repos. « J’ai trop longtemps travaillé, disait-il ; qu’il me soit permis enfin de songer à la retraite. J’aurai un palais à Hanéfah. L’été y est frais, les eaux limpides, les environs ombragés. L’hiver, je me retirerai dans mon palais de La Mecque. J’ai tout fait pour Kosrew, reprenait-il alors avec plus de force. En 1826, je lui ai donné ma flotte, mon armée, mon fils. Je lui ai fait porter par Boghos-Bey cent mille talaris. Comment m’a-t-il récompensé ? Il a abandonné Ibrahim en Morée ; il m’a noirci aux yeux de mon maître. Kosrew ne peut plus rester à Constantinople,