Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/362

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il y serait massacré le jour de sa chute, et ce jour-là n’est pas loin. Kosrew, s’il ne veut pas revenir en Égypte, n’a qu’un parti à prendre, c’est d’aller en Crimée. Les Russes lui doivent un asile, car il leur a vendu l’empire. Il y a des gens qui s’imaginent que je veux me rendre indépendant. Je demande l’hérédité, et non l’indépendance. Je ne veux que la gloire du sultan et le bonheur des Osmanlis. »

Dans une seconde entrevue, qui eut lieu à Alexandrie même, quelques jours avant mon départ, nous trouvâmes le vice-roi plus soucieux et plus irrité. « On ne veut rien faire pour en finir, nous dit-il. Voilà bien les lenteurs de la diplomatie ! Pendant ce temps, l’hiver s’avance, et mon trésor s’épuise. Quand Ibrahim-Pacha m’écrira qu’il ne peut plus nourrir ses troupes, qu’aurai-je à faire si ce n’est de lui envoyer l’ordre de marcher en avant ? Je vous en préviens, monsieur le consul-général, pour que vous en instruisiez votre gouvernement. Demain j’en informerai officiellement les consuls de toutes les puissances. »


« Vous jugez, écrivais-je à l’amiral Lalande, si M. Cochelet dut se récrier à cette sortie. « Votre altesse y songe-t-elle ? dit-il. On est déjà fort irrité en Europe de son obstination à retenir la flotte turque et à exiger le renvoi de Kosrew-Pacha. Le cabinet français lui-même, qui trouverait cette condition inadmissible, si elle venait d’un souverain indépendant, ne peut la concevoir de la part d’un vassal en guerre contre son suzerain. Et c’est au moment où la France se fait l’avocat de Méhémet-Ali, bien qu’elle soit loin de tout approuver dans sa conduite, c’est au moment où j’ai cru pouvoir me porter garant de la modération de son altesse, que, par son impatience, le vice-roi irait donner raison à ses ennemis ! Si son armée a épuisé le pays qu’elle occupe, qu’il la dissémine et la fasse entrer dans des cantonnemens. — Péqué Guzel ! charmant en vérité ! s’est écrié le vice-roi en riant à gorge déployée. Voilà bien le moyen d’obtenir raison de Kosrew ! Me faudra-t-il moins nourrir mon armée quand je l’aurai disséminée ? Mon trésor en sera-t-il soulagé d’un para ? Je n’aurai fait qu’un pas rétrograde. Quant à Kosrew, c’est mon ennemi. Avant qu’il ne vînt aux affaires, n’étais-je pas le plus aimé des serviteurs de mon maître ? On veut me faire mourir d’inanition ; j’aime mieux mourir d’un seul coup. Ah ! vous craignez que je n’amène les Russes à Constantinople ! Que m’importe, à moi ? Ils n’y resteront pas. J’entraînerai la guerre générale, dites-vous ? Je ne la désire pas ; mais deux maisons brûlent, la mienne et celle de mon ami. Il faut d’abord que je sauve la mienne. Je vois clairement aujourd’hui que les puissances étrangères ne sont pas en état de s’entendre. Elles veulent toutes, prétendent-elles, l’intégrité de l’empire ottoman et le maintien du fils de Mahmoud sur le trône : qui donc ne veut pas cela, ou qui le veut plus que moi ? Pourquoi vous êtes-vous mêlés de nos affaires, vous qui n’êtes pas de notre religion ? Sans vous, nous les aurions déjà réglées. »