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il les trouvait dans l’exceptionnelle aptitude des uns comme dans le vaillant passé des autres, dans l’ardeur de la jeunesse aussi bien que dans l’expérience de l’âge mûr. Lorsqu’il eut bien déployé son escadre en ligne et qu’il l’eut bien reployée en colonnes, lorsqu’il eut changé assez de huniers et de vergues de hune, il voulut se donner le spectacle d’un combat de nuit. À un signal du vaisseau-amiral, les batteries de l’escadre s’illuminèrent, et au premier coup de canon de l’Iéna un feu général s’ouvrit sur toute la ligne. Les divisions d’abordage furent appelées sur le pont, et le pétillement de la mousqueterie se joignit à la grosse voix des pièces de 36. La nuit était sombre et venteuse. L’exercice n’en fut que plus instructif. À dater de ce jour, l’amiral Lalande eut foi dans son escadre. Il ne crut pas toutefois pour cela en avoir assez fait. Il avait commencé l’éducation de ses vaisseaux par les exercices faciles. Quand il les eut ramenés dans la baie d’Ourlac, il visa hardiment aux difficultés. À l’heure la plus imprévue, le signal d’appareiller tous à la fois, au plus vite, au plus tôt paré, montait au haut des mâts de l’Iéna. Il fallait laisser là le lavage des ponts, embarquer les chaloupes, hisser cinq ou six autres embarcations, lever deux ancres et sortir de la baie, qu’il ventât ou qu’il fît presque calme. Le lendemain, c’était le tour des exercices de force. On changeait les mâts de hune. La première fois, cette opération demanda deux heures et demie à l’Iéna et huit heures au Montebello, La quatrième fois, l’Iéna l’exécuta en cinquante-cinq minutes. Les autres vaisseaux y employèrent à peu près une heure et demie. « Et pourtant, me disait l’amiral Lalande de cet air triomphant qu’il prenait quelquefois, il y a des gens qui prétendaient que ces exercices étaient inutiles,… parce que les Anglais ne les faisaient pas. » L’exercice favori restait d’ailleurs celui du canon. Les règlemens avaient alloué une certaine quantité de boulets et de poudre pour cet usage. L’amiral Lalande consomma en un mois ce que les règlemens lui accordaient pour une campagne de deux ans. Il fut coupable à bord de l’Iéna comme il l’avait été à bord de la Résolue ; mais cette fois il avait pour lui l’opinion publique, et bien osé eût été celui qui eût entrepris de l’attaquer. L’escadre, en effet, un instant hésitante, le protégeait alors de tout son enthousiasme. L’amiral l’avait d’abord lassée ; il avait fini par l’entraîner et par la séduire. La fatigue des exercices s’oubliait dans les ardeurs de l’émulation. Il n’y avait nul besoin de pousser les équipages, le difficile était au contraire de les retenir. Tel vaisseau échappait pour ainsi dire aux mains de son état-major. Les gabiers avaient affiché les principaux signaux dans les hunes, et on avait peine à leur faire attendre les commandemens de l’officier de quart. Aussi, disait-on