Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/381

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de combat s’étaient crues inaccessibles. Les révolutions vont si vite au siècle où nous sommes, que qui ne sait point se transformer et se renouveler pour ainsi dire risque, fort de devenir inutile. Une flotte est à peine construite qu’il en faut bien vite ébaucher une autre. On marche et l’on trébuche à chaque pas sur un progrès nouveau. Les budgets se lassent et les haches s’émoussent. Cependant des forêts entières descendent des montagnes dans nos arsenaux, des armées d’ouvriers sont debout auprès des chantiers attendant le modèle qui n’est pas encore sorti du cerveau de l’ingénieur. C’est une heure de fièvre, mais c’est aussi une heure de trouble. L’audace est la seule sagesse dont on puisse s’inspirer aujourd’hui. La révolution a été déchaînée ; ceux qui l’ont introduite dans le monde naval ne savent plus eux-mêmes où elle les mène. Gardons encore, s’il se peut, notre sang-froid. Ce bouleversement est pour nous une moins rude épreuve que pour l’Angleterre. Les murs de bois laissent à découvert les cœurs de chêne. Richard Cobden le proclamait il y a quelques jours en plein parlement sans provoquer un seul démenti : plus de la moitié du peuple anglais vit aujourd’hui du blé qui lui vient du dehors. C’est une garnison dont la subsistance est compromise, si ses communications sont coupées. L’assaut est inutile contre cette place qu’on pourrait aisément affamer ; seulement il faut se tenir en garde contre les sorties.

Chargé de passer l’inspection générale des bâtimens qui portèrent au Mexique une armée de plus de trente mille hommes, j’ai fait en quelque sorte défiler sous mes yeux toutes les forces vives de notre marine. J’ai vu un corps d’officiers dans la force de l’âge et déjà pleins de maturité, d’une instruction si vaste, si variée, si profonde, qu’il n’est pas de problème qui leur soit étranger. Agrandissez autant qu’il vous plaira la sphère de leur action, vous trouverez à peine un rayon assez étendu pour embrasser toutes les aptitudes que cet admirable personnel vous offre. Je puis le louer sans crainte, j’appartiens à un autre âge. J’ai beaucoup fréquenté la marine anglaise ; je la tiens en très haute estime, et personne ne sait mieux que moi ce que nous avons gagné à l’étudier de près. Je ne crois pas cependant qu’à aucune époque de notre histoire l’intervalle ait été moindre entre les deux flottes. La seule chose qui pourrait tendre à le rétablir, ce serait une émulation excessive et une précipitation irréfléchie. Il est dans la destinée des deux plus grandes puissances de l’Europe de se mesurer sans cesse des yeux, et, alors même que la cordialité de leurs rapports est le mieux assurée, de se prendre mutuellement pour objectif. Acceptons cette nécessité, mais luttons d’industrie plutôt que de vitesse. Du jour où je suis entré dans la marine, je n’ai entendu parler que de guerre contre