Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/384

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et calme m’a laissé la plus vive empreinte. C’est aussi celui qui a exercé la plus grande influence sur la direction nouvelle que prit tout à coup notre marine. Les châtimens corporels n’ont été abolis sur la flotte que par un décret de la république. L’exemple de l’amiral Lalande les avait depuis quelques années presque abolis de fait. En rendant nos matelots des artilleurs habiles, en demandant chaque jour davantage à leur intelligence, on éprouva le besoin de ménager leur dignité et de les relever à leurs propres yeux. La discipline se fonda sur l’ordre et sur la méthode. Il n’y a que la France qui puisse aujourd’hui jeter un équipage sur un navire armé d’hier et trouver le soir même chaque matelot à son poste. Que d’efforts, que de recherches, que de patience, pour en venir là !

Je n’aurais probablement pas essayé de ressaisir les traits fugitifs des premières années que j’ai passées sur mer, si toute cette période n’eût été remplie par l’image d’un chef vénéré. Aussi, lorsque cette image me manque, je m’arrête. L’opinion publique peut avoir ses surprises ; elle est en général clairvoyante. Elle avait reconnu dans l’amiral Lalande un homme supérieur et le poussait de toutes ses forces au premier rang. L’amiral se sentait lui-même digne d’y arriver. Lieutenant de vaisseau, il disait déjà en riant à ses camarades : « Quand je serai ministre ! » Les événemens de 1814 et de 1815 l’avaient surpris sans le décourager. Beaucoup d’officiers croyaient que c’en était fait de la marine. Les armemens étaient suspendus, un transport-écurie tenait station dans le Levant, des goélettes suffisaient aux Antilles ; la plupart des officiers vivaient péniblement d’une maigre demi-solde. Le lieutenant Lalande attendit avec confiance des temps meilleurs. Il avait deviné les prodigieuses ressources de la France. Le père de l’amiral, au grand scandale des bourgeois du pays, avait vendu la presque totalité d’un patrimoine qui n’était pas considérable pour donner une bonne éducation à ses fils. Il leur avait laissé peu de bien, mais, par cette sage prodigalité, avait assuré leur avenir. De ses trois enfans, l’un était mort officier supérieur en Russie, le second était général, le troisième amiral.

Le lieutenant Lalande, mis un peu à la gêne par la réduction du budget, vécut pendant quelques années du produit des parts de prise que lui avait values une croisière heureuse sur la frégate la Nymphe. Il portait toute sa fortune dans une ceinture. Avant que cette réserve ne fût épuisée, le flot vint et le souleva. Il rentra joyeux dans la carrière active, y fit des pas rapides et se trouva officier-général dans un âge où, avec une meilleure santé, il eût pu compter encore sur un long avenir. Ce fut à Ourlac, après le retour de sa campagne d’évolutions à l’entrée des Dardanelles et sous Saint-George de Skyro, qu’il nous apparut dans toute sa sève martiale