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imite, on remanie les anciens, j’entends ici par anciens les poètes des XIe, XIIe et XIIIe siècles ; mais on ne crée plus rien. Pour qu’il naisse une nouvelle poésie digne de se faire écouter, il faudra qu’il apparaisse, dans l’imagination française, de nouveaux types, un nouvel idéal auquel concoururent l’Italie, l’Espagne et l’antiquité. Ainsi s’explique la stérilité du XVe siècle ; c’est l’espace vide qui, plus ou moins long, sépare les deux termes d’une transformation.

Pendant que l’art de la poésie subissait une éclipse, un même sort atteignait l’art de l’architecture. Sans rappeler ici comment de l’église byzantine est née l’église gothique, il suffit de dire que l’art gothique, qui est la grande gloire de l’Occident et qui rivalise avec les plus belles conceptions de l’antiquité, fut la création d’artistes français. Malgré le nom fort impropre qu’il porte, l’Allemagne n’y a aucun droit, l’Italie n’en a pas davantage, et c’est de la France que ces hardies et religieuses constructions se sont étendues à l’Angleterre, à l’Allemagne et au midi ; mais, de même que le souffle désertait la poésie, il désertait aussi les autres arts, et ce visible changement, avec ses conséquences, l’auteur de la partie du discours relative aux arts pendant le XIVe siècle, M. Renan, l’a signalé ainsi : « Le XIVe siècle est, dans l’histoire de l’art français, un moment capital ; c’est le moment où il est décidé que l’art du moyen âge mourra avant d’avoir atteint la perfection, qu’au lieu de tourner au progrès, il tournera à la décadence. Cet art avait survécu de plus de cent ans au sentiment religieux et poétique qui l’avait créé ; l’inspiration semblait maintenant lui manquer tout à fait. Le goût du XIIIe siècle avait souvent été peu exercé ; jamais il n’avait été plat et vulgaire : maintenant, au contraire, le goût du laid l’emportait de toutes parts. Quand le goût renaîtra, ses efforts ne consisteront pas à continuer une tradition nationale ; ils consisteront plutôt à rompre avec la tradition. De là ce phénomène qui, pour n’être pas sans exemple, n’en reste pas moins étrange, nous voulons dire cette rupture qui, à partir du XVIe siècle, nous rend dédaigneux pour notre passé et engage à la poursuite d’un autre idéal. »

Cette rupture avec le passé quant à l’art, rupture dont on vient de voir la vive expression dans les paroles de M. Renan, n’est pas moins effective dans un autre domaine qui m’a particulièrement occupé, je veux dire la langue. Le XIVe siècle est le moment où la langue d’oïl meurt pour faire place au français moderne. La langue d’oïl est, avec la langue d’oc, la fille aînée du latin ; seules entre les langues romanes, elles ont conservé des cas, un nominatif et un régime, image diminutive de la déclinaison latine, mais image réelle. C’est sous cette syntaxe semi-latine que pendant trois siècles la langue d’oïl chante les preux de Charlemagne et les merveilles de la Table-Ronde et du Saint-Graal ; mais en même temps que l’inspiration