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monde et de sa destination. Aussi la philosophie, la science, la raison, devinrent-elles sans effort, sans contrainte, et par une sorte de vénération filiale, servantes, comme on disait, de la théologie. Ce fut un âge d’or, si par âge d’or on entend ici une époque organique où la partie morale et la partie intellectuelle de la société ont trouvé leur unité ; alors les lettres et les sciences humaines étaient nécessairement ecclésiastiques. Au XIVe siècle, tout avait commencé de changer ; la sagesse profane prenait un notable domaine, et, bien que courbée sous le poids des entraves de l’école, c’est elle qui est destinée à prévaloir et à conduire les nations modernes à une puissance et à une grandeur qu’elles ne connaissaient pas. Le XIVe siècle est dans les schismes, à la veille des hérésies triomphantes, à l’avant-veille des entreprises bien plus sérieuses de la science sur la théologie.

Ces considérations font pénétrer profondément dans l’enchaînement de la civilisation. Par elles, on voit comment l’antiquité gréco-latine s’arrêta impuissante devant des recherches pour lesquelles son esprit n’était pas mûr, comment, dans cette impasse, le christianisme ouvrit une issue morale et sociale qui mit le monde sur un degré plus haut, comment le moyen âge, vivant en plein sous cet ordre, conserva, non sans l’élaborer, le trésor des anciens enseignemens, comment, cette phase religieuse s’épuisant, ce fut le tour de la science d’offrir l’issue au monde moderne, et comment enfin notre temps demande à la science, suffisamment grandie, une ère de nouvelles conditions morales et sociales.

Au XIVe siècle, qui est le point de partage entre le moyen âge et le monde moderne, la scolastique est encore reine des intelligences ; plus tard, la philosophie et la science la foulèrent aux pieds comme une simple combinaison de mots et de formules. Alors cette dialectique active et inquiète alarmait certains esprits, et en 1321 Jean de Jandun, dans son Éloge de Paris, nous peint « ces hommes spéculatifs, exempts de passions terrestres, et qui ne recommençaient tous les jours que par amour du vrai leurs combats intellectuels. L’objection de l’un est résolue par l’autre, les réfutations, les répliques se succèdent ; on admire tout ce qu’une main puissante est capable de construire et de fortifier sur le terrain mouvant de la dispute, et l’on ne s’étonne pas moins de tout ce qu’un bras redoutable, sans toucher à la foi, peut détruire pu ébranler. Mais ce que la religion gagne ou perd à une telle gymnastique, Dieu le sait ! » Une telle gymnastique, pour me servir de l’expression de Jean de Jandun, avait mis son empreinte sur toute chose, et M. Le Clerc, qui la signale dans les sermons d’alors, montre que la chaire a continué d’en ressentir l’influence. « Nos grands sermonnaires, dit-il, ont toujours gardé quelque chose de ces anciennes modes de la prédication,