Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/430

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Dans cette ascension, à partir du dernier point de décadence où était tombée la société antique, la France eut les devans et produisit les premières nouveautés de l’esprit catholico-féodal. Ce qui prouve que le mot est juste et qu’elle ne fut qu’une devancière, c’est le succès qu’elle obtint : tout l’Occident fut sous le charme de ces créations chevaleresques et chrétiennes, l’Occident qui, lors même qu’il eût mieux senti qu’il ne faisait la divine poésie de Virgile, avait besoin de types qui fussent siens et pour qui Roland, Renaud, Charlemagne, les paladins et les barons étaient des figures plus neuves, plus familières, plus vivantes que Turnus et Énée. En ce moment, l’Italie, l’Espagne, la France, la Germanie christianisée, l’Angleterre conquise par les Normands, formaient un groupe régi spirituellement par un chef siégeant à Rome, temporellement par des suzerains et des vassaux, et assez homogène pour représenter, à l’égard de la civilisation et du reste du monde, ce que l’agglomération romaine avait longtemps représentée C’est ce groupe tout entier qui donna son applaudissement aux chants venus de France. Plusieurs de ces poésies ont péri ; ce qui en reste, après un long oubli, reparaît aujourd’hui à la lumière du jour. On peut les juger. Il se voit bien qu’il y manque un génie individuel qui y mît par le style une empreinte immortelle ; mais il n’y manque pas un génie collectif qui sût satisfaire à l’idéal du temps et créer une variété de héros, d’héroïnes et de situations tout aussi vivantes dans nos imaginations que les plus belles de l’antiquité. Il faut bien reconnaître qu’il y eut dans le haut moyen âge un grand éclat des lettres françaises, et au XIVe siècle une décadence. Cet éclat et cette décadence sont deux faits essentiels de notre histoire.

Si, au moment de la chute de l’empire romain, la question était comment se ferait la transition de l’ordre politique ancien à un ordre nouveau, la question connexe était comment se ferait la transmission intellectuelle. Elle se fit en effet, et il n’y eut jamais rupture entre le régime qui commençait et la latinité qui finissait. Ainsi s’explique la fortune du moyen âge, qui devint une sorte d’empire néo-romain, à parties multiples, parties dont l’indépendance extérieure était contenue par une dépendance profonde et réelle. On peut présenter sous quatre chefs ce qui fut l’aliment des esprits dans l’antiquité : les lettres, la philosophie, les sciences, l’art. Rien de tout cela ne fut abandonné. Le moyen âge, dès qu’il put se reconnaître, recueillit avec vénération et ardeur tout ce qui le mettait en communication avec ses ancêtres en civilisation ; même il étendit sa curiosité jusque sur l’Arabie, alors florissante, et, grâce à elle, il préluda, par une renaissance anticipée, à la science grecque. Les résultats répondirent au labeur, et quand on fait son compte, sans parler du pouvoir, spirituel qu’il fonde, sans parler de la féodalité