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envoient leurs bâtimens jusqu’en Amérique. Après eux viennent les habitans de Rio, les Riesi, navigateurs intrépides, riches armateurs, mais qui s’occupent surtout du transport du minerai et pratiquent plus volontiers le cabotage que le long cours.

Toutes les villes de l’Elbe, surtout Rio et Capoliberi, ont joui, jusqu’au commencement de ce siècle, de très grands privilèges. Après les dévastations des pirates, il fallait bien indemniser, en les délivrant de l’impôt, ceux qui avaient été pillés ; on ne pouvait non plus appeler de nouveaux habitans dans l’île que par l’octroi de nombreuses franchises : c’est ce que comprirent les Pisans et après eux les seigneurs de Piombino. Les Médicis, l’Espagne, voulant de même peupler rapidement les positions qu’ils occupaient, durent recourir à ce moyen qui réussit toujours, de coloniser par la liberté. À Rio enfin, on devait quelques dédommagemens aux propriétaires du sol, que l’on dépossédait des mines, et sur d’autres points, comme à Capoliberi, il fallait respecter des franchises datant peut-être des Romains. L’île d’Elbe était et elle est restée un port franc. Les communes ne payaient d’impôts qu’à elles-mêmes, elles nommaient leurs magistrats, ne reconnaissaient aucun maître direct, et jouissaient de statuts républicains. Rio conserve une copie des siens sur un parchemin du XIIIe siècle. Quand Napoléon fut exilé à l’île d’Elbe, cet état de choses durait encore. Un jour, l’empereur voulut faire payer à Capoliberi je ne sais quelle contribution que d’autres communes avaient déjà acquittée. Le conseil municipal se rassemble en grand émoi : « Quel est ce Napoléon, s’écrie l’un des membres présens, qui nous soumet à des tributs comme si nous étions un pays conquis ? Si c’est un cadeau qu’il demande, qu’il le dise : les hommes libres de Capoliberi veulent bien le lui offrir ; mais nul n’a le droit de les taxer. » A la suite de ce discours, refus des habitans de payer. Napoléon, peu accoutumé, même à l’île d’Elbe, à voir ses volontés rencontrer la moindre opposition, envoie sa garde corse contre les Capolibériens. Ordre de raser la ville ou de revenir avec l’argent. À leur tour, les habitans s’arment, résolus à défendre énergiquement leurs foyers. Cependant des pourparlers ont lieu. Une belle suppliante court se jeter aux pieds de l’empereur ; on finit par s’entendre, et le conseiller municipal, premier auteur de tout cet incident, devint un ami de Napoléon.

À part un certain esprit d’indépendance qui caractérise les habitans de l’île d’Elbe, et qui est un reste de leur ancienne existence politique, toute trace de mœurs particulières, de coutumes propres au pays, a aujourd’hui entièrement disparu. Les anciens chants eux-mêmes ont cessé de vivre dans la mémoire des insulaires. À ce sujet, M. Mellini, ingénieur aux mines de l’île d’Elbe, et qui a recueilli