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sur son pays natal des détails du plus haut intérêt, m’a dit avoir entendu dans son enfance, de la bouche d’un vieillard, une romance sur la prise de Rio par Barberousse. Les stances se déroulaient sur un rhythme plaintif, solennel : il y avait dans cette musique des vaincus comme un écho lointain de la poésie et du chant des Arabes, leurs vainqueurs. C’était le super flumina Babylonis des Elbains traînés en esclavage. Le vieillard a emporté avec lui l’air et la romance, la dernière qui eût été conservée. Tous les jeux populaires ont également disparu ; quelques légendes, quelques traditions revivent seules. Jamais pays ne s’est plié plus vite aux usages de ses nouveaux maîtres, et alors qu’en Corse, en Sardaigne, à Malte même, on retrouve chez les indigènes des habitudes invétérées, des costumes traditionnels, à l’île d’Elbe il n’y a plus rien que de toscan, probablement par suite du voisinage même de l’Étrurie.

Ce qui caractérise généralement cette population, c’est une aptitude remarquable aux travaux les plus variés. Presque tous, dans la partie orientale, vivent de l’exploitation des mines et de la navigation ; quelques-uns s’adonnent à l’agriculture, font un peu de jardinage et plantent des vignes sur les coteaux. Dans la partie occidentale, la navigation et la culture de la terre occupent surtout les bras. On fait du charbon dans les maquis ; on travaille aux carrières de granit et de kaolin. La pêche n’est pas non plus négligée. Les thons, les anchois, les sardines, d’excellente qualité dans ces eaux, y sont aussi fort abondans. Porto-Ferrajo, Campo, Marciana, font un peu de commerce ; elles exportent leurs vins blancs, qui sont renommés. Dans le voisinage de Porto-Ferrajo, il y a en outre de vastes salines très bien établies : elles datent des Médicis. Cette, ville, capitale de l’île, est le rendez-vous de la meilleure société du pays. Dans la belle saison, les baigneurs y affluent ; ils viennent même du continent, et Porto-Ferrajo présente alors un air de fête. Le soir, sa grande et jolie place, bordée de magasins et de cafés, devient un lieu de promenade charmant. Le dimanche, à voir le luxe des toilettes, le costume éclatant que portent les femmes, qui sont d’une beauté remarquable, on se croirait dans une de ces villes tropicales auxquelles sourient le ciel et la mer. Une sorte de familiarité confiante, naïve, qui règne parmi tout ce monde, ajoute encore à l’attrait du tableau. C’est à Porto-Ferrajo, dans l’habitation où résidait autrefois le gouverneur envoyé par Florence, que Napoléon aimait à demeurer. Il avait aussi acheté une villa à San-Martino, non loin de la ville, dans une charmante position, aux lieux mêmes où M. A. Demidoff a fait bâtir son musée. Les appartemens occupés par Napoléon sont restés dans le même état. Des fenêtres toujours entr’ouvertes, l’empereur dominait la rade, où croisaient sans cesse les