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Le cant est en somme, au dire des experts en ces matières, un idiome de formation ancienne, construit d’après des idées qui s’enchaînent et en vue d’un but défini, la langue secrète des classes dangereuses, le voile de leurs desseins pervers, le principal instrument de leurs menées criminelles. Le slang, — bien que ce mot semble, lui aussi, d’origine bohémienne[1], — est tout autre chose que le cant. Il a existé de tout temps et dans toutes les langues. C’est l’idiome changeant et capricieux des familiarités à la mode. On le fait, on le défait tous les jours et partout. Il se localise ou s’étend, on ne sait de par quel hasard ou quelle fantaisie. Les mots dont il se compose jaillissent, on ne sait comment, d’une source ignorée, pour répondre à un vague besoin d’innovation. Ils naissent tantôt en haut et tantôt en bas, d’un empereur ou d’un pitre (peu importe à qui les répète), et vont éveiller, en vertu d’une loi d’acoustique parfaitement indéfinissable, mille retentissans échos. Tel d’entre eux, examiné de près, semble, à la rigueur, mériter sa merveilleuse fortune ; la plupart, en revanche, ont à se prévaloir exclusivement du « droit divin, » qui leur assigne une éphémère domination. Ils sont parce qu’ils sont, ils règnent parce qu’ils règnent, et celui-là même qui les a lancés dans le monde serait bien embarrassé d’en expliquer la vogue énigmatique. Il en est d’eux comme de ces refrains populaires, absolument dénués de sens, qui se succèdent périodiquement, à deux ou trois années d’intervalle, chez le peuple le plus spirituel de l’univers, et que ce peuple chante avec une.ardeur, un entrain, un brio, — disons mieux, une résignation et une patience exemplaires. Il ne faut pas être bien vieux pour se rappeler une demi-douzaine de ces chorals entonnés à la fois sur tout le territoire. Quels miracles d’épidémique stupidité ! Quelle popularité soudaine, illimitée, universelle, acquise à quel néant, à quelles inepties ! Ce phénomène explique l’existence de certaines modes absurdes en fait de langage, et ces modes constituent précisément le jargon changeant et mobile auquel nos voisins avaient autrefois donné le nom de flash, et qu’ils ont désigné plus tard, qu’ils désignent maintenant sous celui de slang, tiré, nous l’avons vu, du dictionnaire a égyptien. »

Il importait de marquer dès le début la différence de ces deux expressions, la première traduisant exactement celle d’argot (que les voleurs de Londres emploient aussi bien que ceux de Paris) ; la seconde, mieux rendue par le mot de jargon ou de langue verte,

  1. Les gypsies ou zingari anglais l’emploient du moins comme synonyme de rommany, langue bohème. Une autre étymologie, celle-ci très contestée, le fait venir du mot slangs, par lequel on désigne les fers dont certains prisonniers sont chargés, et dont ils allègent le poids au moyen d’une ficelle (sling).